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Walrus, cantonnement de troupes, où l’on retrouve les mêmes noms fantaisistes de rues que dans les tranchées : les Strand et les Piccadilly Circus. Un kilomètre plus loin, des fantômes gris d’avions se révèlent, planant dans l’axe de la grand’route. Autour de chacun naissent de petits ballons de fumée blanche qui sont du shrapnell boche, car là-bas, au-dessous des grands oiseaux, c’est déjà l’ennemi. Et puis, deux coups violens, si proches, semble-t-il, que l’on cherche des yeux la batterie qui vient de tirer, qui doit être là, quelque part, dans un champ voisin, mais la campagne est toujours vide. Et près d’un talus de chemin de fer, à côté de la traînée blanche que fait un éboulis récent, une sentinelle nous arrête. « Yes, Sir, » dit l’homme, en regardant nos papiers, « shelled this morning. » Il y a une heure on ne passait pas.


A Dainville, presque un faubourg d’Arras, nouvelle halte, et qui, cette fois, parait devoir durer. They are shelling the next corner, nous dit le chef du poste qui nous barre le passage : started ten minutes ago. La demi-lieue de chemin qui nous sépare de la ville est sous les obus allemands. Sur ce ruban de route, rien ne passe en ce moment que les invisibles projectiles venus de l’horizon, et qui mènent inutilement leur danse en cette solitude. Dans le pays, la vie est comme suspendue. Une puissance qui voudrait tuer est à l’œuvre. On n’entend que les coups de foudre qui tonnent en vain là-bas, dans les champs et sous la ligne de peupliers.

Des soldats attendent, assis par terre, contre les murs. Dainville en est plein : troupes de réserve, troupes au repos, comme il y en a partout, le long de l’infini champ de bataille. A l’orée du village, parmi la brique écroulée d’une maison, des officiers attendent, les yeux tournés du côté des explosions. Cette barrière qu’on nous oppose, cette attente et cette immobilité des hommes, cette solitude livrée à des ravages d’obus, tout nous dit que voici, enfin, ce qui s’est annoncé tout le matin, à mesure que se multipliaient au long de la route, les hommes, les convois, les canons, et que grossissaient, sur toute la ligne de l’horizon, les pulsations de l’artillerie : la limite actuelle de notre terre, le commencement du pays de mort qui sépare les peuples opposés, — l’abord des régions défendues que les Anglais appellent le « pays de personne. ».