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ancienne hiérarchie, dans la petite église qui tinte. Dimanche à Christ-Church d’Oxford, où les étudians en surplis blanc viennent prendre leur place dans les stalles où passèrent les générations de leurs ainés. Dimanche à Westminster, où la vibration des orgues et des voix résonne aux voûtes obscures, passe dans les tombes de tous les rois. Dimanche aussi, sur le pont d’un grand paquebot de l’Inde. Et toujours cette affirmation d’un ordre fier et proprement anglais. Je savais ce qui se concentre en ce culte actif et ce qui s’y recrée périodiquement, par la magie des paroles, des musiques, des rythmes où tous assemblent leurs voix et leurs âmes, de volonté morale et nationale.

J’entendis le prêtre donner deux fois le numéro d’un hymne, et en réciter fortement le premier vers. La polyphonie monta, pleine, forte, cordiale : on sentait que les hommes chantaient avec élan, qu’ils y mettaient vraiment tout leur cœur. Ils aiment leurs hymnes, m’avait dit un officier. Et il ajoutait : Ils y tiennent comme au roastbeef quasi rituel du dimanche, qu’ils respectent aussi beaucoup. A good Church and a good feed, voilà ce qu’il leur faut ce jour-là. Après quoi, ils ont la satisfaction de se sentir moralement et physiquement lestés. Par les prières et les chants articulés en commun, où chacun est porté, entraîné par tous les autres comme dans une marche, et puis par la belle nourriture bien servie, ils se trouvent plus solides et sérieux, plus anglais, plus satisfaits de l’être, rattachés à tout l’ordre assuré des choses de leur Angleterre.

Mais, à l’église, sous les influences encore une fois répétées du rite, des vieilles paroles sacrées et cadencées, au-dessus de cet ordre, plus ou moins clairement ils en entrevoient un autre, auquel celui-là se suspend et dont il tire sa raison d’être et son prestige, — un ordre éternel comme les figures d’étoiles, et qui sert de fond à toutes choses. Vaguement ils ont communiqué avec l’au-delà pressenti dont leur race a tant rêvé, la Puissance dont procède toute loi, tout devoir, toute discipline, celle dont l’autorité et, l’on peut dire, le caractère absolu, passent dans les paroles d’un Kitchener ou du Roi, lorsque ceux-ci leur demandent, demandent à tout ce peuple, — qui obéit parce qu’il est sensible à ce caractère, — un grand sacrifice, ou, ce qui est plus difficile, une privation. Paroles très simples, mais presque solennelles, tant le sérieux en est profond, — si puissantes,