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tous les belligérans ; mais si l’on se rappelle ce que sont en temps normal, en Angleterre, les postes, les chemins de fer, les téléphones, les tramways, on conclura que, dans ce pays, un service public a vraiment pour objet de servir le public, de le servir le plus vite et le plus abondamment possible. Sans doute, à mesure que l’Etat étend ses monopoles et multiplie ses fonctionnaires, de nouvelles habitudes tendent à s’établir. Mais si les premières expériences de l’étatisme anglais semblent relativement inoffensives, c’est justement parce que les points de vue, les méthodes et les rythmes de travail qui règnent au pays du business et de la libre concurrence ont passé et prévalent encore dans les administrations publiques. Par exemple, dans les bureaux de poste, une chose est frappante : la jeunesse de ce personnel féminin. On estime, en effet, que pour un travail monotone, et que l’on veut aussi rapide que possible, la valeur efficace, — efficiency, — est moindre, au-dessus d’un certain âge, et que la nervosité, l’impatience, cette mauvaise humeur de l’employée, que l’on connaît trop en d’autres pays, apparaissent plus vite. Too old at forty, disent les business-men de la Cité. Et le même souci du rendement a conduit à ces méthodes de travail que l’on suit dans les ateliers dits « taylorisés. » C’en est une, — supprimer le produit anonyme, — que l’on observe en cette boulangerie militaire où chaque pain porte le chiffre d’une invariable équipe. Et c’en est une autre, — ne pas lutter contre le désordre, mais l’empêcher de naître, — que nous apprenions devant la perspective nette du quai. De telles règles, plus simples dans l’énoncé que dans l’application, répondent à des problèmes qui se posèrent d’abord dans les pays de la production et du trafic intenses. C’est à l’expérience de Londres et de New-York que l’on dut avoir recours, quand il fallut enfin débarrasser les rues de Paris d’intolérables encombremens.

Voilà les habitudes générales que les Anglais apportèrent à l’organisation matérielle de la guerre. En 1914, il s’agissait pour l’État d’appliquer à cette lutte pour la vie ou la mort toutes les énergies de travail du pays. Parce que ces énergies, si massives et depuis si longtemps orientées vers des fins différentes, ne pouvaient se retourner tout d’un coup, parce que les techniciens et l’outillage technique manquaient, il y fallut quinze ou dix-huit mois. Ce fut long pour ceux qui ne pouvaient voir que l’urgence ; ce fut court, si l’on songe à l’énormité de la