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et ses petits veux gris vert enfoncés sous des sourcils épais.

— Mademoiselle Adrienne ! s’écria-t-elle.

Adrienne lui serra la main.

— Tu l’appelles mademoiselle, dit Denise, et elle est mère de famille !

— Mademoiselle Adrienne ! reprit la vieille servante, pas possible !

— Mais si, Danielle, et j’espère que vous viendrez voir mon poupon.

— Léonard est couché ? demanda Denise.

— Oui, mademoiselle.

— Viens le voir, dit Denise à son amie. Danielle, s’il te plaît, allume le feu dans ma chambre.

Les deux amies passèrent dans la pièce voisine. Au pied du lit de la servante, il y avait un lit d’enfant où le petit garçon en chemise blanche était encore assis, la figure tournée vers la porte.

Adrienne conçut avec un peu d’ironie triste le détail de cette timide maternité de jeune fille. Elle pensa au gros poupon qu’elle installait chaque matin sur son oreiller et dont elle baisait les petits pieds roses. Denise avait toujours été très pudique ; — nerveuse et passionnée comme elle l’était, elle devait passer une partie de ses nuits à penser à l’enfant. Adrienne se la figurait glissant jusqu’à la porte, pour écouter s’il respirait bien et ne faisait pas de cauchemar, — mais elle aurait cessé d’être elle-même si elle avait pu se résoudre à le coucher dans sa chambre. Ce petit garçon les regardait de ses yeux pleins de silence. Il était singulièrement beau ; la lumière électrique éclairait d’un jour dur son front lisse sous d’épais cheveux, son nez droit, sa nuque fine et cambrée, creusée d’un sillon où s’enfonçait une mèche drue, ses petites mains pâles où se modelaient encore les fossettes de la première enfance.

— Pourquoi parle-t-on toujours de la beauté des femmes ? dit tout bas à Denise la belle Adrienne, quand il y a ces êtres-là !

Denise embrassa Léonard et lui dit quelques mots à l’oreille. Adrienne s’approcha souriante et dit : « Bonjour, Léonard. » L’enfant levait vers elle ses larges et tristes yeux, sa bouche taciturne. Sans résistance, il se laissa caresser la main. Quand elles s’en allèrent, il eut une expression d’angoisse ; il tira la