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elle me dit, après un de ces profonds silences : « Ne me plains pas, mon enfant. J’ai bien souffert, mais je suis au bout. On ne peut pas regretter d’avoir souffert. » Et puis elle reprit, après s’être tue un moment :

— Non, je ne regrette rien ; ni mon veuvage qui a dévasté ma jeunesse, ni la mort de mon fils que j’ai donné à la France, ni cette maladie qui m’aura fait mourir aussi cruellement que ton pauvre père. Je veux te le dire et tu te le rappelleras dans tes propres épreuves. La vie est dure, mais c’est le chemin vers Dieu. — Les moyens d’expression lui manquèrent, mais, sa pensée se prolongeant dans la défaillance de ses forces, elle répéta plusieurs fois confusément « le chemin, le chemin... cela vaut la peine ! »

Elle me parlait rarement de Dieu et je ne me doutais pas de cette concentration de pensée religieuse qui se révélait dans ses paroles. Elle était si forte, maman, et si solitaire ! Max lui ressemblait.

Dans la soirée du même jour, elle me dit : « Nise, tu seras bien seule ici, quand je n’y serai plus. Tu devrais te faire rapatrier. Le docteur m’a promis de t’aider pour les démarches et de donner lui-même un avis favorable. Si tu pouvais retrouver ton fiancé, ce serait bien, et nous avons lieu d’espérer que tu le retrouveras. » Comme je pleurais sans pouvoir lui répondre, elle me caressa doucement la main en disant : « Pauvre petite... c’est long, deux années de jeunesse... je sais... je sais... c’est très long, Je ne voudrais pas que tu en perdisses une de plus ! »

Sa voix était indulgente ; elle me caressait comme si j’avais été près d’elle un petit chat perdu. C’est incroyable qu’ayant aimé maman comme je l’aimais, je me sois sentie toujours si loin de son âme.

Deux jours plus tard, elle demanda le prêtre. Ce fut le vieux curé de notre paroisse qui vint la voir. Elle resta longtemps seule avec lui, puis il vint me chercher et me dit de préparer la chambre pour l’Extrême-Onction. Maman désira que je fisse appeler nos deux vieilles cousines, qui venaient régulièrement chez nous le dimanche, au sortir des vêpres, prendre de ses nouvelles et qu’elle n’avait pas reçues depuis trois mois. J’envoyai Danielle pour les chercher. Elles arrivèrent ensemble, cousine Agathe et cousine Rose ; elles entrèrent timidement dans la