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delà l’horreur monotone de l’hôpital et des récits de guerre, par delà les brutalités, les angoisses, les désastres de chaque jour et tout cet épouvantable étonnement, quelle tendre lumière brillait sur le couvent de Vouziers ! L’insomnieuse, triste, se penchait sur une autre petite image, non plus un groupe de classe, mais une photographie d’amateur tirée un après-midi d’été par une élève qui avait apporté son kodak à la récréation : c’était Nise, debout, en uniforme d’écolière, les épaules minces et tombantes sous la pèlerine plate, la tête un peu inclinée de côté, la bouche aux coins tendrement incurvés, le petit front bombé, les yeux pareils à deux fontaines transparentes. — « Pauvre petite mignonne ! songeait Adrienne, qu’est-ce que la guerre t’aura fait, à toi ? » Et elle sentit le poids des deux ans et demi de silence et de douleur qui venaient de passer sur sa ville natale, sur tout le petit monde de son enfance et de sa jeunesse, sur son amie. En contraste avec la silhouette énigmatique et endeuillée qu’elle avait embrassée au crépuscule, près du bassin, la fantaisie du souvenir lui montra Nise un soir de bal, chez une de ses tantes. Cette petite Nise, toute chétive et maladroite qu’elle était restée parmi ses compagnes devenues de sveltes et vigoureuses jeunes filles, dansait avec délices, — et comme un sylphe. Le soir de ce bal, elle était apparue portant une robe d’un rouge clair de coquelicot, — bien hardie pour Vouziers, mais cette sévère Mme Huleau savait ce qui était joli ! — dans laquelle sa pâleur s’enflammait comme une fleur blanche dans l’incandescence de midi. Elle avait dansé infatigablement, enivrée, sans orgueil, sans coquetterie, lumineuse comme le duvet qui flotte et tournoie dans l’air. Les groupes, inévitablement massés dans les portes, la regardaient. On disait : « Elle est étonnante ! C’est Cendrillon ! » Mais la chose qui ravissait encore la mémoire d’Adrienne, c’était le radieux regard que sa petite amie lui avait jeté plus d’une fois par-dessus l’épaule d’un danseur, quand elles se croisaient dans les remous de la valse. Quel infini de confiance, quelle puissance d’aimer dans ce regard ! Aucune jeune fille n’avait cet amoureux éclair, aucune n’était aussi ouverte, — simple et singulière à la fois, comme les enfans de l’immense nature inconsciente, comme une fleur qui déplie sans inquiétude au soleil sa corolle où s’inscrit un dessin étrange. Les obscurités, les tristesses, les violences de l’âge des tempêtes avaient passée