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année, pendant les séparations de l’été ou du printemps. La jeune femme se mit à les relire : de gracieuses lettres d’un ton modeste et tendre où passait quelquefois comme un frisson de mélancolie. Comme des lettres de vieille dame, elles commençaient presque toujours par : « Ma belle... »

Adrienne Estier sourit en revoyant cette appellation. Au couvent, autrefois, on disait : « jolie comme Adrienne ! » Elle leva les yeux vers le miroir pendu en face de son lit et regarda sa longue figure claire aux traits fins. Un instant elle pensa à son mari : « Je ne lui ai jamais montré mes vieux trésors, » se dit-elle. Je me demande s’il comprendrait ? » Puis elle s’absorba longuement dans ses photographies. C’étaient d’abord des groupes de pensionnaires sous les lilas de leur couvent. Denise Huleau était là, toujours au premier rang parce qu’elle était la plus petite, assise au bout du banc avec un air de diablotin, des cheveux de soie pâle ébouriffés autour de son front et des yeux si grands, si clairs, si sensibles... Une étrange petite fille, changeante et pleine de mystère ! Elle n’était pas jolie, trop pâle avec un nez rond quelconque, — un ovale médiocrement dessiné, — mais quand elle était émue et qu’un peu de rose léger palpitait a ses joues, elle devenait ravissante. Elle intéressait tout le monde par sa mobilité. Il y avait des jours où l’on disait : « Tiens, Nise a ses yeux de feu d’artifice ! » et, dès le lendemain, quelquefois : « Tiens, Nise est sous la cendre ! »

Ces jours-là, les jours de cendre, elle n’était plus qu’une pauvre petite chose vague, chétive, accablée par les leçons trop difficiles, les exigences de la règle, les taquineries des compagnes. Adrienne se rappela Nise, le buste enfoncé sous le couvercle de son pupitre, s’abandonnant au désespoir. Elle se rappela aussi que, devant ce couvercle spasmodiquement secoué, elle avait un jour haussé les épaules, et la honte soudaine que lui avait causée le regard profond et compatissant d’une jeune maîtresse. Elle sentait encore aux joues la chaleur de ce moment-là, et dans son cœur, avec le subit renversement de son orgueil d’enfant sage — la perception obscure, poignante d’un mystère de tristesse qui enveloppait sa petite amie. En rentrant à la maison elle avait demandé à ses parens : « Nise Huleau, elle a perdu son père, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il y a longtemps ? » Plus tard on lui avait raconté la longue agonie