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être, parmi les Musulmans de l’Afrique du Nord, un élément assimilateur de premier ordre.

Déjà nombre de ces travailleurs ont adopté le costume européen. Bien des Kabyles ne portent plus la chéchia. D’autres Africains, qui continuent à la porter, ont jugé plus prudent, ou plus avantageux pour leur prestige, de s’affubler de défroques militaires achetées au décrochez-moi-ça. Et ainsi des étrangers peu physionomistes peuvent confondre ces honnêtes manœuvres, sous leur travestissement dépenaillé, avec des prisonniers turcs ou des soldats coloniaux mal tenus. Quant aux Annamites, ils sont à peu près vêtus comme nos ouvriers d’Europe. Les Chinois ont sacrifié leur queue légendaire. Tondus de près et coiffés de larges chapeaux de paille, les pieds dans des espadrilles, ou chaussés de forts souliers à clous, ils sont tout habillés de bleu à l’instar de nos mécaniciens, sauf qu’ils ont conservé la culotte bouffante des Orientaux. Ainsi vêtus d’azur, ces Célestes apparaissent comme les vrais fils du Ciel. Ils se présentent généralement par grandes masses, sous l’aspect grégaire, et quand, à la sortie des docks ou des chantiers, ils se répandent sur le pavé en un énorme flot ininterrompu, on dirait un jaillissement de turquoise en fusion.

Les chaleurs presque tropicales de ces derniers jours printaniers leur donnent sans doute l’illusion du soleil d’Extrême-Orient. Nus jusqu’à la ceinture, ou même complètement nus, ils se plongent dans le bassin qui s’arrondit devant la façade exotique du Grand Palais, parmi les grenouilles et les monstres de faïence qui émergent de l’eau. Des sapins et des cèdres, profilés en silhouettes aiguës et précises sur le bleu dense du ciel achèvent d’évoquer l’atmosphère japonaise ou chinoise. Et dans ce parc marseillais, à deux pas du Château Borély, — pur joyau de style Louis XVI, — on est tout surpris de rencontrer un paysage, qu’on n’avait jamais contemplé, jusque-là, que sur les ventres des potiches, ou sur les soies des paravens.

Marseille, Porte de l’Orient, est la première à bénéficier du travail de ces Orientaux. Il est évident que, même en temps de guerre, certaines de ses industries ont pris un essor nouveau. Des esprits chagrins lui en ont fait un crime. Mais par quelle sotte pudeur s’en cacherait-elle ? N’est-il pas honorable, au contraire, d’avoir pu maintenir et développer cette activité