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les épaules. Le commandant, qui m’accompagnait, me dit :

— Voyez ! ils ont des chapeaux de planteurs, et le territorial qui les escorte n’a même pas de cache-nuque !

Leurs cuisines, leurs réfectoires sont parfaitement tenus. Des lavabos, voire des appareils à douches, ont été installés en maints endroits du campement. Ils ont une infirmerie très convenablement outillée ; ils ont même une espèce de casino, an grand hangar à la fois théâtre, salle de récréation et salle de lecture, avec un piano, une bibliothèque, des journaux, — le tout, il est vrai, organisé par les soins d’une association chrétienne helvétique. Je n’oserais pas affirmer que j’y ai vu des fleurs. Au moins, j’ai vu, autour des baraquemens, des jardinets pleins de gemüth, où poussaient des légumes. A coup sûr, ce campement n’est pas précisément un lieu de délices ! Sous ces abris en planches, nos soldats n’en ont pas d’autres, il doit faire terriblement chaud en été, et, malgré la douceur du climat marseillais, un peu froid en hiver. Mais, comme ils disent, « la guerre est la guerre ! » Et ce n’est pas nous qui l’avons voulue !

Néanmoins, si nombreux qu’ils soient, ces prisonniers allemands sont loin de donner la note dominante dans la physionomie nouvelle du port et des quais de Marseille. Là, comme partout, l’Afrique, — notre Afrique, — est triomphante. Il faut assister, entre cinq heures et demie et six heures du soir, à la sortie des docks et des chantiers. Je reconnais bien, au passage, des groupes de Catalans, de Mahonnais, de Valenciens, de Grecs des iles, mais le flot de nos « Bicots » recouvre tout. Ils s’avancent par files profondes, comme une armée en marche. Un chapeau de feuillage enroulé autour de la chéchia, ou un brin de basilic piqué dans la narine, ils piétinent les rails de la chaussée, en gesticulant et en criant très haut, comme des hommes qui vont toucher une haute paie et faire pleuvoir une pluie d’or, là-bas, dans le gourbi abandonné, où les femmes, tatouées de figures bleuâtres, attendent leur mandat-poste mensuel.


Pour nous reposer un peu de ce tumulte et de cette bigarrure cosmopolites, regardons un instant Marseille vue du Vieux Port, sur le quai de Rive-Neuve.