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Le 1er novembre au matin, une nappe d’eau continue d’où émergeaient des îlots de verdure, s’étendait de Nieuport aux environs de Dixmude. Deux canons lourds et quelques pièces de campagne s’apercevaient, enlisés, battus par le flot sur lequel flottaient mille débris hideux.

L’ennemi avait reculé derrière la rivière. Un rapport d’agent anglais signalait qu’il « devait retirer des troupes du Nord pour renforcer l’attaque sur Ypres. » Et, de fait, les Allemands semblent abandonner tout espoir sur le Bas-Yser ; le 3, les Belges leur reprennent Lombartzyde. Nos ennemis sentaient bien que, sur l’Yser, la partie était perdue. « Notre empire est sur l’eau, » avait dit un jour leur Empereur, on se répétait le mot avec une ironie légitime. Cette mer dont les incursions, jadis, faisaient pour les gens du Noordland une ennemie, on l’avait appelée en alliée contre un fléau mille fois pire. Maintenant, elle s’étendait, teinte de sang allemand, entre l’armée belge échelonnée derrière la chaussée, — pour combien de mois, d’années, — et les ennemis déçus, furieux.

Cependant, sur la rive droite même, comme une presqu’île, le redan de Dixmude tenait bon. Un fier marin maintenait les drapeaux des deux nations, comme au-dessus d’un cuirassé battu par le flot. Les fusiliers, qui parfois s’étaient étonnés du sort qui les faisaient terriens, souriaient de voir la mer revenir à eux, vieille connaissance qui maintenant les aidait à braver « le Boche. »

C’est contre ce redan insolemment avancé que l’Allemand allait s’acharner, tandis qu’il s’efforcerait, nous l’allons voir, de chercher plus au Sud l’accès des ports de la Manche. Il le fallait bien ; il n’était plus permis, ricanaient en 1672, après l’ouverture des écluses, les soldats de Guillaume d’Orange, il n’était plus permis au grand Roi Louis « que de faire les sièges que les eaux et les marées permettraient. » On en pouvait dire autant de Guillaume II le 1er novembre 1914. Ypres après Dixmude allait subir ses assauts. Mais Dixmude, hier droite de la bataille de l’Yser, devient gauche de la bataille d’Ypres. Celle-ci bat déjà son plein. Et il nous faut, avec les deux armées, glisser vers le Sud.

Le premier acte du drame était clos. L’Allemand n’avait pu saisir sa première proie.


LOUIS MADELIN.