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suffit pas : « Sans doute, les grands sentimens d’amour universel où m’entretiennent habituellement mes travaux propres sont délicieux à éprouver : mais combien leur vague énergie philosophique est loin de suffire à mes vrais besoins d’affection ! » Alors, il a choisi Clotilde.

Et elle ?... Car il faudrait la consulter. Clotilde a bien de l’amitié pour M. Comte : il est obligeant ; et son amour a de quoi flatter une jeune femme qui n’attendait pas un tel honneur. Quant à aimer M. Comte, ce qui s’appelle aimer, quant à l’aimer d’amour : cela, non. Et, pour le cas où M. Comte aurait le tort de s’y tromper, elle le lui déclare tout de go : « Vous m’avez donné un témoignage de votre estime : puissiez-vous en trouver un de la mienne dans ce que je vais vous dire... Au nom de l’intérêt que je vous porte, je vous en prie, travaillez à surmonter un penchant qui vous rendra très malheureux Un amour sans espérance tue l’âme et le corps ; il vous fauche comme un brin d’herbe. Il y a deux ans que j’aime un homme de qui je suis séparée par un double obstacle... » C’est assez clair : non seulement Mme de Vaux n’aime pas M. Comte, mais elle aime un autre homme ; et, aimât-elle M. Comte ainsi que l’autre homme, elle serait pareillement très attentive à l’ « obstacle, » au double obstacle de son mariage et du mariage de M. Comte ou de l’autre homme. Donc, M. Comte n’a, somme toute, qu’à surmonter son penchant. Il paraît que, l’autre homme, c’était Armand Marrast. Et, si l’on dit que ce garçon n’avait pas le génie de M. Comte, il était de Saint-Gaudens et très beau parleur, avec une chaleur de voix qui enflammait son auditoire ; il avait la chevelure abondante et la moustache drue : Clotilde enfin l’aimait. Et Clotilde était vertueuse : Armand Marrast ne se sut point aimé ; ses mânes l’auront appris de M. Charles de Rouvre. M. Comte, informé par Mme de Vaux d’avoir à surmonter son penchant, répond le mieux du monde : « J’aurai le courage, madame, de vous remercier cordialement pour votre douloureuse confidence et de vous témoigner avec sincérité combien votre admirable lettre d’hier confirme ma haute opinion de votre rare noblesse morale... « A peine reproche-t-il à Mme de Vaux de n’avoir pas fait sa confidence quinze ou vingt jours plus tôt : ses « malheureux sentimens » n’auraient pas eu le temps de s’enraciner... « Quoi qu’il en soit, le remède, j’espère, vient encore à temps pour prévenir un cours d’affection qui pouvait à mon insu finir par tout compromettre en moi, tout jusqu’à ma raison... » Il promet de consacrer toutes ses forces à éteindre « le seul véritable amour qu’il ait jamais ressenti ; » et sa douleur est émouvante. Puis, la courtoisie d’un aveu méritant une politesse analogue,