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qui acquérait ainsi une charmante femme et, comme on dit, une position : car il succédait à son beau-père et devenait percepteur de Méru. Seulement, M. de Vaux était un imbécile et un joueur : cela fit, de M. de Vaux, un coquin. Bref, quatre ans après le mariage, l’inspecteur des Finances ayant annoncé sa venue et le projet de regarder un peu les livres de la boutique aux impôts, M. de Vaux eut la conscience d’éloigner sa femme ; ensuite, il mit le feu à la maison et, quant à lui, s’esquiva. Quand on reçut de ses nouvelles, il était loin. Mme de Vaux, sa vie ainsi détraquée, a tous les ennuis et l’inconvénient de la pauvreté. Elle se rapproche de sa famille, composée du capitaine Marie, de Mme Marie, née Ficquelmont, ses parens, d’un jeune frère, un savant très distingué, très bon, d’une droiture un peu rigide et qui vient d’épouser une fillette de quinze ans. La famille arrange comme ceci l’habitation de chacun : le capitaine, ayant le caractère incommode, aura son logement séparé ; Clotilde également, car elle a le goût de l’indépendance ; Mme Marie la mère, son fils et sa bru, demeureront ensemble. Et tout le monde au Marais, dans un aimable voisinage, le trio rue Pavée, Clotilde rue Payenne ; Clotilde prend ses repas rue Pavée. Le capitaine, on le voit à l’occasion.

Et M. Comte ? Ces excellentes et modestes personnes qui tâchent de vivoter doucement n’ont pas l’air d’attendre un si fameux visiteur. C’est le frère de Clotilde, Maximilien, qui l’amena.

Maximilien Marie connaissait M. Comte pour l’avoir eu comme examinateur à l’École polytechnique en 1836. Et Comte examinateur est une chose déjà fort singulière. Il dit au candidat : « Monsieur, vous comprenez les mathématiques ; mais vous êtes jeune. Il y a intérêt, pour vous et pour l’École, à ce que vous soyez, lorsque vous y entrerez, en pleine possession de votre cours de spéciales. Je pourrais vous donner la note 16 ou 17, qui vous permettrait sans doute d’être admis ; je vais vous donner la note 13, qui vous exclura certainement. De la sorte, j’aurai l’an prochain le plaisir de vous donner la note 18... » Ce n’est qu’une petite anecdote : je l’aime beaucoup ; on y voit Comte parfaitement. Si bien solennel ; si hardiment dévoué à son devoir ; si prompt à confondre avec la loi morale son caprice ; loyal et pénétré du grand orgueil de ses lubies ! Et l’on y voit comment un admirable doctrinaire n’évite pas toujours de ressembler à un auteur gai. Le trop jeune Maximilien fut refusé ; l’année suivante, il le fut encore : il ne réussit qu’à la troisième tentative. Mais où il montra la dignité de son âme, c’est en ne maudissant pas du tout les rudes fantaisies de son examinateur. Il voua même une fidèle admiration