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c’est d’accomplir à tout prix leur destin. Quant à l’honnête homme de mari, son devoir, non moins strict, est de regarder passer ce torrent déchaîné, sans en contrarier d’aucune manière la course saintement dévastatrice. Qu’il soit prêt à tout, soit que sa femme réclame d’être mise en liberté ou qu’elle exige de rentrer la tête haute. Témoin d’événemens qui le dépassent, il doit y assister avec une terreur respectueuse et une hébétude sacrée. Ainsi en a-t-il été dans des centaines et des centaines de romans et de pièces de théâtre, depuis Jacques et depuis Monsieur Alphonse ; ainsi en est-il dans l’Élévation. Et tel est le thème que M. Bernstein a mis en œuvre avec l’art que nous connaissons depuis longtemps à M. Bernstein, je veux dire : depuis sa première pièce. Cet art, d’un effet considérable au théâtre, consiste à agir sur les nerfs du spectateur dans un continuel crescendo, à suggestionner le public et l’amener progressivement à un état d’exaltation très particulier. Il a, encore une fois, produit tout son effet et valu à l’auteur un gros succès.

Le jour de la déclaration de guerre, chez un grand médecin, le professeur Cordelier. Ce professeur est un homme d’âge ; sa femme, Edith, est beaucoup plus jeune que lui. Louis de Génois, jeune homme élégant et content de soi, vient prendre congé, avant de rejoindre son régiment. Il reste seul avec Edith : aussitôt, celle-ci tombe dans ses bras, éperdue, bouleversée, tremblant de toute son âme et de tout son corps de femme amoureuse. Car Edith n’est pas une grande patriote, ce n’est pas une grande Française, mais c’est une grande amoureuse ; ou plutôt c’est une amoureuse, rien qu’une amoureuse et qui ne sait que son amour. Louis de Génois va se battre, courir des dangers, être blessé, tué peut-être : une telle monstruosité est-elle possible ? Au moins qu’avant ce fatal départ elle puisse dire adieu à ce cher amant, qu’il la reçoive chez lui, qu’elle puisse s’abîmer sur son cœur ! Louis de Génois ne s’en soucie guère ; il n’a pas le temps ; il est très pressé : des tas de courses à faire. Cette indifférence contraste avec la fièvre d’Edith, et j’ai à peine besoin de dire qu’elle nous choque un peu : nous sommes au théâtre et nous avons bien de la peine à admettre qu’un jeune homme qui part pour la guerre ait rien de mieux à faire qu’à recevoir une dernière fois sa maîtresse. Cependant on continue d’aller et venir chez le professeur Cordelier. Un de ses collègues lui amène ses deux fils, qui doivent se mettre en route le soir même, faisant partie des troupes de couverture de Verdun... Soudain Edith s’affaisse, évanouie... On lui porte secours ; elle reprend connaissance, mais elle ne reprend pas