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regardées par tous ceux qui restent. A partir de huit heures, l’entrée est libre pour les militaires ; pour les civils on exige l’inscription dans le parti.

J’aurais voulu voir de près cet oiseau rare, et j’exprime le regret de ne me sentir aucune disposition pour l’anarchisme. Un jeune officier venu avec nous me propose de profiter des droits que lui confère son costume pour aller interviewer Lénine en mon lieu et place.

— Je vous en prie !

Et il franchit aussitôt le seuil gardé par deux sentinelles, baïonnette au fusil. Son absence dure à peine quelques minutes.

— Je vous avoue que j’ai fait une assez mauvaise impression, me dit-il. Après avoir salué Lénine, je lui ai posé tout de go la question : Comment avez-vous pu traverser l’Allemagne ?

— Pour me poser une pareille question, a gravement déclaré le leader bolché-wiki, il faut que vous soyez un provocateur !...

Car c’est certainement là que le bât le blesse. Mais vous pensez bien qu’ainsi étiqueté, j’ai dû aussitôt me séparer du troupeau !...

— A la vérité, reprend le jeune homme, il y avait peu de monde dans le fameux salon qui entendit des propos plus amènes, au temps où y fréquentaient les grands-ducs. Nous avons grand tort de faire de la popularité à ce moderne Erostrate qui mettrait la Russie en feu pour se faire un nom. Il fallait le tuer par le silence.

... Maintenant, il faudrait connaître la répercussion des événemens de la Révolution dans les campagnes.

Comment vont se comporter les villages au moment des élections pour l’Assemblée Constituante ? On n’en peut rien savoir encore, et cela fait frémir. En attendant, un fait en dira long. L’alcool, dont la suppression avait amené un véritable bien-être dans les campagnes, l’alcool est en train de faire sa réapparition. L’avenir, — et, pour la Russie, l’avenir c’est demain, — se révèle gros d’inquiétudes et de complications.


MARYLIE MARKOVITCH.