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Finlande, au lion jaune sur fond rouge ; le drapeau blanc, noir et azur des Esthoniens et jusqu’au bouclier de David des Israélites, — les seuls d’ailleurs dont les revendications ne constituent pas un danger pour l’intégrité de la Russie. Car on n’ose se demander jusqu’à quel point il convient d’apporter ici l’approbation ou le blâme. Que serait dans le concert futur des peuples la nouvelle Russie, diminuée de la Finlande, de la Pologne, de l’Ukraine, de l’Esthonie, de la Livonie, de la Courlande, du Caucase et de l’Arménie ? Ainsi mutilée, elle reculerait, par delà Pierre le Grand, jusqu’à l’époque du grand-duché de Moscou. Mais allez donc parler raisons pratiques et économiques à d’incorrigibles idéologues ! Ceux qui le tentent en ce moment, comme Milioukoff, y jouent leur popularité. D’ailleurs, c’est une façon de voir courante parmi les Russes que tous les anciens États dépendans auxquels ils offrent le choix entre l’indépendance et l’autonomie adopteront ce dernier modus vivendi pour former avec eux la grande république des Etats-Unis de Russie. Rêve voisin de l’utopie. Toutes, ou presque, les individualités consultées affirment que leur pays veut l’indépendance. De savoir s’il est capable d’en jouir d’abord et de la conserver ensuite, ce n’est pas la question, et l’avenir le montrera ; mais chacun d’eux entend soutenir son droit. Le problème n’est pas nouveau ; il était tout entier en germe dans la Russie d’avant la Révolution. N’en avoir pas tenu assez compte sera peut-être pour ceux qui ont préparé et déclenché le mouvement d’aujourd’hui une impardonnable faute devant l’Histoire.

Tout de même avant qu’on en arrive aux difficiles et dangereuses procédures, ces drapeaux flottans, ces enthousiasmes exhalés en chants patriotiques, ces orchestres de cuivre jetant à tous les vents l’hymne français, symbole éternel de la liberté des peuples, ajoutent à l’éclat de la fête révolutionnaire. Pétrograd est vraiment une ville en joie, frémissante de vie, de mouvement et de bruit. Les menaces de l’étranger viennent battre ses murs sans l’émouvoir, les inquiétudes du ravitaillement se perdent dans l’ivresse de la liberté, toutes les difficultés à résoudre sont rejetées dans un avenir dont l’imprécision satisfait le tempérament temporisateur des Slaves.

Pendant que le peuple fête la liberté, le Gouvernement provisoire travaille pour lui. Bureaux et commissions siègent alternativement