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entrées. Un seul homme n’en peut assurer la surveillance. Chacune d’elles possède son starché-dvornik, ses « suisses, » son gérant, sa « chancellerie. » A Pétrograd, l’espace, les rues, les places, les monumens, les maisons et jusqu’aux appartemens, tout est immense et souvent hors de proportions.

Le bienfait de l’institution nouvelle n’a pas tardé à se faire sentir. Le calme, la confiance, la sécurité sont revenus peu à peu. Les fauteurs de troubles n’osent plus se risquer à des attaques désormais difficiles et dangereuses ou, s’ils s’y hasardent, comme à la tentative de pillage faite au grand magasin des Gourmets, ils sont arrêtés aussitôt.

— Certes, la besogne ne manque pas aux miliciens, répond le jeune étudiant au brassard blanc orné de lettres rouges que je viens d’interpeller. Que n’avons-nous pas fait pendant la révolution ? Chasse aux malfaiteurs, aux agens de police, aux ivrognes ; perquisitions sur ordre ; patrouilles de jour et de nuit ; poursuites des « autos noirs » qui nous tuaient à coups de fusil dans la nuit : nous avons vraiment goûté de tout ! Ma journée ?... Cela vous intéresse. C’est à peu près celle de tous mes camarades, vous savez... !

— Racontez tout de même.

— Eh bien, voilà. Il y a une semaine à peine que je suis milicien. J’ai choisi le service extérieur comme plus actif. J’arrive vers dix heures du matin à la milice et j’en pars... quand je peux. Avant-hier, l’aide-commissaire me dit : « Ne vous en allez pas, il y a une affaire intéressante. Je vais faire un tour à la chancellerie. » Avez-vous vu notre commissariat ? Non ? C’est un ancien poste de police ; mais comme il est changé ! Au lieu de l’uniforme des gardavoïs, à la vérité assez élégant, mais qui gardait malgré tout un aspect servile très spécial aux yeux d’un Russe, voici maintenant l’uniforme noir et bleu à boutons d’or des étudians, la tunique grise des militaires, le vêtement noir des civils. Plus de silences solennels, de conversations mystérieuses et à voix basse ; les gens ne se signent plus de peur en entrant. Ce lieu terrible, cet antre gardé par des cerbères avides de gâteaux de miel, mais qui les acceptaient sans en être apaisés, est devenu un asile accueillant. On aime à s’y attarder pour causer des affaires générales ou particulières, et la vieille icône paraît toute réjouie du babillage et de l’activité joyeuse de cette jeunesse.