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emporté. Néanmoins, la création d’un gouvernement définitif reste l’œuvre attendue de la grande Assemblée.

A plusieurs reprises, la situation a été très tendue entre le Gouvernement et le Conseil, leurs ordres étant parallèles et contradictoires. Grâce à une première intervention du député Kérensky, le Conseil consentit à renoncer à des querelles de partis, et A. F. Kérensky entra au Ministère avec le portefeuille de la Justice. Malgré ses promesses et en maintes occasions, le Conseil a mis le Ministère en échec et l’on peut prévoir le jour où il en provoquera la chute. Son rôle tend sans cesse à grandir, étant donné qu’il a aussi pour lui la formidable masse paysanne, à laquelle il a promis la terre, et dont le Congrès se réunira dans quelques semaines à Pétrograd.

Dès sa formation, le Conseil, par le pricaz n° 1, intima l’ordre aux soldats de terre et de mer de n’obéir à leurs officiers qu’à la condition que leurs ordres seraient en conformité avec les siens. Il supprima le tutoiement ; les officiers, jadis gratifiés d’un titre, durent être désignés désormais par leur grade. Il déclara que les soldats étaient libres après leurs exercices et égaux à tous les citoyens, — ce qui leur ouvrait le vaste et dangereux champ des controverses politiques. Ce faisant, le Conseil a lue dans l’armée la discipline. La liberté est un vin fort qu’il ne convient pas de boire d’un seul trait.

Le même pricaz subordonnait les officiers aux soldats en les soumettant à leur élection. Voici comment la scène se passe. Le feld-webel donne le nom d’un officier qui commandait la section ou la compagnie et le met aux voix, A mains levées, les soldats acceptent ou rejettent. Cela a donné lieu à des scènes qui seraient comiques dans un autre temps et pour un autre objet. La plupart des soldats ne connaissent pas le nom de leurs officiers, qu’ils désignent ordinairement entre eux par une particularité quelconque. Les votes se font donc au hasard et engendrent toutes sortes de méprises : on voulait celui-ci, et c’est précisément cet autre qu’on a nommé... Regrets, criailleries, discussions... Mais c’est ici comme aux enchères : une fois que le marteau a frappé sur la table et que la voix du commissaire a crié : « Adjugé ! » on n’y revient plus.

Le Conseil a institué en outre des comités de soldats, pour veillera l’ordre du régiment et réviser les punitions infligées par les officiers. Ces comités, limités d’abord à Pétrograd, se