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rare, a terriblement renchéri ; la boutique du marchand grec et ses noix caramelées, son halvatt et ses figues confites s’en ressentent.

Aujourd’hui, une étrange scène se déroule à Gostiny-Dvor. Un jeune homme en costume d’étudiant monte sur une estrade improvisée, crie et gesticule. Nous approchons. On entend :

— Le numéro d’hier du journal de Moscou Rannïé ontro (la première heure), cinq kopeks !... Qui donne plus ?...

— Deux roubles ! crie une voix.

Et aussitôt, l’enchère monte : 10 roubles ! 15 roubles ! 18 ! 28 !... Enfin, le numéro est adjugé à 50 roubles.

Les journaux de Pétrograd ayant cessé de paraître depuis une semaine et l’arrivée de ceux de Moscou ayant été interrompue pendant trois jours, les étudians ont eu, dès la reprise de service des chemins de fer, l’ingénieuse idée de vendre aux enchères, et au profit des postes de ravitaillement pour les soldats, les premiers numéros parus. La criée a été productive à Gostiny-Dvor ; elle ne l’est pas moins, au coin de la rue Troïtskaïa où la même scène se renouvelle. Un numéro du Rouskoyé Slovo a été adjugé à 100 roubles, ainsi qu’un Rousky Viédémosti et la foule d’applaudir et d’accompagner les acheteurs avec des ovations frénétiques. On dit, mais je n’ai pas assisté aux enchères, que sur un autre point de la Newsky un numéro de ce même journal a atteint le prix fantastique de 10 000 roubles (plus de 20 000 francs).

Un trafic original se fait sur les ponts où l’on vend à vil prix des revolvers, des fusils, des sabres d’officiers et des kortiks (épée courte) de marins, volés aux officiers, pris à l’Arsenal ou réquisitionnés sans droit dans les maisons.

Bien que les tramways ne fonctionnent pas encore, que les isvostchiks soient rares et d’un prix inabordable et que l’on commence à trouver bien long le chemin, nous poussons jusqu’à la place Znamenskaïa où eut lieu le choc sanglant du 26 février, entre l’armée et la police. La statue équestre de l’empereur Alexandre III, lourde et sans majesté d’ordinaire, et qui assista à l’effroyable combat, se dresse, invisible et tragique, sous un revêtement d’étoffe rouge, comme si avait passé sur elle toute la vague de sang.

A Pétrogradskaïa-Stérana, à Viborskaïa, où retentissent les sinistres clameurs de la faim, à Vassiliewsky-Ostrow et dans