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LENDEMAINS DE RÉVOLUTION
À PÉTROGRAD


LA LIBERTÉ DANS LA CITÉ


Pétrograd, de mars à mai 1917.

La révolution a pris fin, — du moins dans sa phase aiguë. Plus de cris ; plus de coups de feu. On s’éveille... D’un cauchemar ou d’un rêve ?... On ne sait plus. On a vécu d’une vie si intense, tantôt épouvantée, tantôt enthousiaste !... On en est encore comme étourdi... On se tâte, on se compte : oui, oui, nous sommes tous là quoiqu’un peu pâlis, les nerfs brisés, et hésitans. Vite, un coup d’œil à la fenêtre, un tour dans la rue pour dissiper les dernières brumes du cerveau et prendre contact avec la vie nouvelle...

Nous voici dehors. Le drapeau si terni, si fripé de l’hôpital, a été remplacé par un autre où la croix-rouge flamboie dans de la blancheur neuve. Et cela émeut comme un symbole... Un ouvrier, grimpé sur une échelle, est occupé à ficher un grand drapeau rouge dans des crampons de fer nouvellement posés. L’air matinal est frais, un peu piquant, tchisti (propre), comme disent les Russes, débarrassé des impuretés qui le rendaient lourd.

La vie normale reprend. Les ménagères, cabas au bras, attendent leur tour pour le pain devant les boutiques. Elles causent entre elles ou échangent avec les passans des réflexions rapides.

— Eh bien ! est-ce qu’il y aura du pain, maintenant ?

Bôndiet ! bôndiet ! (Il y en aura ! il y en aura !) Et bien meilleur : du pain de la révolution !