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assurent tous les privilèges de la neutralité, un pays qui n’ait aucune chance d’être attaqué, c’est bien l’Espagne. Chacun sait d’ailleurs avec quelle facilité on coupe des voies en pays montagneux et, quand la voie subsiste, avec quelle rapidité on remédie à sa largeur différente par la pose d’un troisième rail. Cet ordre d’idées étant donc écarté, il n’est pas besoin de développer les avantages que présenteraient, pour l’Espagne, une réduction de plusieurs heures sur les trajets de Madrid, Barcelone et Saragosse à Bordeaux, Toulouse, Marseille ou Paris, une circulation de marchandises sans changement de wagon, etc. L’inauguration des deux nouvelles voies transpyrénéennes, imminente après la conclusion de la paix, prête un intérêt d’actualité immédiate à des projets qui rencontrent un accueil très chaud dans tous les milieux industriels et commerciaux directement intéressés.

Un pays qui a derrière lui le passé de l’Espagne, un pays qui a découvert le Nouveau Monde, a le devoir d’envisager l’avenir et de voir grand dans le futur. Le raccordement de l’Espagne avec la France ne facilitera pas seulement le commerce considérable entre les deux pays. Si, par un moyen quelconque, la voie européenne, après avoir atteint Barcelone et Madrid, arrivait un jour à Algésiras, un premier grand pas serait franchi vers la réalisation de plans grandioses qui occuperont dès demain l’humanité pacifiée. Le percement de Suez avait mis l’Espagne en dehors des routes asiatiques. Le Portugal lui bloquait l’accès direct vers l’Atlantique. Mais nous touchons au jour où l’Afrique va se métamorphoser en un pays commerçant et industriel, comme le firent au dernier siècle les pampas du Mississipi. Le sable du désert que devait gratter le coq gaulois rejoindra, dans l’histoire des erreurs humaines, les quelques arpens de neige, par lesquels Voltaire trouvait spirituel de désigner le Canada. Pour l’Amérique du Sud, l’évolution, déjà largement commencée, est plus proche encore et va très certainement se précipiter. Or, sur une mappemonde, la route directe d’Europe au Brésil passe par Algésiras, Ceuta, Dakar et Pernambuco. De telles considérations peuvent paraître lointaines et cette route est semée d’obstacles qui l’ont rendue longtemps impraticable. Mais une génération qui a vu construire le transsibérien, percer Suez et Panama, concevoir et presque finir les lignes du Cap au Caire et du Mozambique à l’Angola