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engrais. Ils disent que le travailleur pauvre est forcé d’émigrer, faute de trouver à occuper ses bras, dans un pays où tant de terre reste en friche. Une minorité soutient que, si les grandes propriétés sont à peu près en jachère, c’est parce que la main-d’œuvre se dérobe, attirée par de larges salaires dans les villes ou à l’étranger. Mais, des deux parts, on est d’accord sur le mal, sinon sur le remède.

Ce que l’on peut réaliser avec de la bonne volonté et, il faut l’ajouter, avec des capitaux, nous avons pu le constater dans un des pays les plus pauvres de la province de Jaen, à la Garganta, où une société minière française, que j’ai déjà eu l’occasion de nommer, poursuit en pleine guerre une vaste entreprise de reboisement. Chaque année, dans le sol défoncé profondément par des charrues à vapeur, un million d’eucalyptus viennent là transformer en forêt verdoyante ce qui était un désert ; une forêt dont l’exploitation méthodique va bientôt fournir en abondance des bois de mine, des étoffes de textiles et des pâtes à papier.

Mais, si j’ai cité cet exemple pour montrer comment s’exerce encore au dehors, même en des temps difficiles, l’activité féconde de notre pays, c’est pourtant la partie fertile de l’Espagne qui doit d’abord attirer l’attention de la France ; car c’est celle qui nous envoie et qui voudrait nous envoyer encore plus ses oranges, ses primeurs, son huile d’olive, ses vins. L’Espagne exporte (1912) pour 150 millions de fruits, 25 millions d’huile, 80 millions de vin et voudrait exporter davantage. Il y a là un point délicat, sur lequel les intérêts espagnols apparaissent quelque peu contradictoires avec ceux de nos agriculteurs méridionaux ou algériens, voire avec ceux de nos alliés italiens, qui, ayant versé leur sang avec nous sur les champs de bataille, pourront justement prétendre, les Espagnols le comprennent bien et s’en inquiètent, à quelques faveurs. En attendant que ces questions aient été résolues par des concessions réciproques nous assurant des avantages équivalens sur d’autres terrains, un certain marasme se manifeste dans ces contrées privilégiées. La culture de la vigne rétrocède ; celle des orangers abandonne peu à peu la Catalogne pour se réfugier en Andalousie et à Valence, où elle pâtit ; les primeurs ne se développent pas comme on l’espérait. En revanche, à l’abri des tarifs protecteurs, l’industrie de la betterave à sucre s’est beaucoup développée après la perte des colories