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CEUX QUE LA JOIE ENIVRE...


Ceux que la joie enivre à l’infini sont ceux
Que la douleur étreint dans la même mesure :
Inconsolables cœurs, heureux ou malheureux
Ils portent une austère ou brillante blessure.
L’amour, le philtre unique aux humains proposé,
S’efforce d’empêcher ces âmes turbulentes
De rechercher encore, au delà des baisers.
L’océan de l’espace et l’île de l’attente,
Où, large oiseau tremblant, l’espoir vient se poser...

— Nous qui connaissons bien ces grands cœurs frénétiques.
Où l’univers se meut sans heurter leurs parois,
Nous savons que l’amour est un refuge étroit :
Alentour, les climats, les parfums, les musiques
S’effacent, assoupis par le fort narcotique
Du sensuel bonheur et du subit effroi...

Tous les plaisirs épars que jamais on n’assemble.
Les beaux ciels du voyage, enduits de volupté,
L’étrangère cité sur qui la chaleur tremble,
Les odeurs d’un jardin bues dans l’obscurité,
Les orchestres errans des nuits siciliennes,
La mer, fécond parfum plein de complicité.
Enfin, tous les appels, sont des marchands qui viennent
Déployer les trésors de la Félicité
Et nous traîner aux pieds de la Magicienne...

Mais voici deux humains qui se sont reconnus !
Que leur importe un monde éblouissant ou nu ?
Ces deux humbles vivans, resserrés dans l’espace.
Dont les regards, les bras, les genoux sont liés.
Ne cherchent, dans la sombre ardeur qui les terrasse,
Ni les jardins d’Asie et ses chauds espaliers,
Ni le lac langoureux sur qui des barques passent.
Ni ces soirs infinis où l’espoir se prélasse.
Mais le bonheur restreint et sans fond d’oublier…