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foule le territoire national. Au surplus, il n’a eu besoin de consulter personne que lui-même, et même, plus exactement, il n’a pas eu besoin de se consulter. Il a refusé les passeports. Même pour Pétrograd ? car la subtilité socialiste épiloguait, et le cas était délicat. Mais, de même que M. Renaudel distinguait entre les lieux, M. Ribot pouvait distinguer entre les temps. « Le gouvernement, a-t-il dit, accordera toujours volontiers des facilités pour aller visiter et entretenir nos amis de Pétrograd, lorsque cette question du congrès de Stockholm aura été écartée et que ceux qui se rendront à Pétrograd ne courront pas le risque de rencontrer, malgré eux, les Allemands. » D’ailleurs, le voyage des deux socialistes, leurs passeports, c’est l’accident ou l’apparence. Le fond, c’est la liberté, l’autorité, la responsabilité du gouvernement, c’est la vérité constitutionnelle. M. le président du Conseil ne s’y est pas trompé, et il y est allé tout droit, après un court exorde : « Le premier inconvénient d’un pareil projet, qui n’est pas né en France, c’est de laisser supposer qu’un parti peut avoir la prétention de se substituer au gouvernement dans la détermination de la politique nationale... Eh bien ! la paix future ne peut pas être l’œuvre d’un parti quel qu’il soit... La paix future ne peut être, en ce qui concerne la France, qu’une paix française, c’est-à-dire une paix résumant les aspirations du pays tout entier. » Ensuite, au milieu des « applaudissemens prolongés, » M. Ribot a continué : « Maintenant, comment pourrait-on, à cette heure, à cette heure de la lutte la plus dure et la plus rude, converser avec ceux qui sont nos ennemis, qui, à aucune heure, depuis le commencement de ce drame terrible, n’ont pas eu un mot qui désavoue le crime qui a été commises contre nous, qui ont approuvé de leur silence toutes les atrocités commises contre nous ? Et c’est quand la France est encore occupée par l’ennemi que nous pourrions entamer ces conversations ? Cela est impossible. La paix ne peut sortir que de la victoire. »

Les acclamations de la Chambre, subitement dressée, duraient encore quand M. Marcel Cachin monta à la tribune, moins pour répondre à M. le président du Conseil que pour tracer devant les députés, comme il l’avait esquissé maintes fois devant le Conseil national du parti socialiste et partout où une curiosité amicale lui avait fait un auditoire, le tableau pathétique de la Russie révolutionnaire telle qu’elle lui était entrée dans les yeux et dans le cœur. Ici, la Chambre s’enferme en Comité secret, et nous ne savons plus rien jusqu’à ce que se rouvre la séance publique. Mais, en rejoignant les deux tronçons, il ne sera pas si malaisé de combler l’intervalle