Au premier bruit d’un voyage possible de nos socialistes à Stockholm, et d’une rencontre possible entre eux et la social-démocratie allemande, tandis que ce n’était encore qu’une fantaisie de la minorité, et avant même que le vote du lundi 28 mai l’eût changée en décision unanime du parti, les inquiétudes les plus vives, les plus légitimes, s’étaient fait jour. Une demande d’interpellation avait été déposée à la Chambre. Si, comme en un temps ordinaire, M. Longuet et M. Renaudel, délégués par la Commission administrative permanente du parti, qui en est le pouvoir exécutif, eussent pu se mettre librement en route, et si, de ce fait, ils n’avaient engagé que M. Longuet et M. Renaudel, ou tout au plus, avec eux, la C. A. P. et si l’on le veut, par surcroît, le Conseil national, et, au total, le parti socialiste, peut-être aurait-ce été déjà tomber dans le piège allemand que de prêter à leur déplacement tant d’importance. Mais, dans le temps malheureux où nous sommes, il leur fallait des passeports, qui ne pouvaient pourtant pas être signés de M. Dubreuilh, et que le gouvernement seul avait qualité pour leur donner. C’était l’obstacle, dès le point de départ. Car, de la part du gouvernement, donner aux mandataires du parti socialiste leurs passeports, c’était marquer, permettre de supposer, admettre implicitement soit qu’on les approuvait, soit, à tout le moins, qu’on ne les désapprouvait pas, qu’on ne les désavouait pas. Le sentiment, à cet égard, de M. Ribot et de son Cabinet ne pouvant guère être douteux, une deuxième question sortait immédiatement de la première, qui s’élargissait : il s’agissait de savoir si le gouvernement serait indépendant, ou si le parti socialiste serait prépondérant ; en d’autres termes, s’il n’y avait qu’un gouvernement, dans le Conseil et sur les bancs du ministère, ou s’il y avait, dans la coulisse et sur les bancs de l’extrême-gauche, un gouvernement du gouvernement.
Nous devons rendre à M. Ribot cette justice que son parti a été pris tout aussitôt, et qu’il s’y est tenu inébranlablement, en dépit de toutes les manœuvres et de toutes les pressions auxquelles il a été en butte, du premier au dernier moment. Mais, s’il savait l’obstination redoutable des socialistes, il connaissait aussi la résolution, nous ne dirons pas seulement de ses amis, quoiqu’ils se soient empressés de lui en porter la ferme expression, mais des trois quarts de la Chambre et de la quasi-unanimité du Sénat ; et, au dehors, autour des murailles, il entendait la clameur répétant la grande parole, non de la Révolution russe, mais de la Révolution française, qu’on ne traite pas, qu’on ne « cause » pas avec l’ennemi qui