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de la petite classe, MM. Alexandre Blanc, Brizon, Raffin-Dugens. La première séance languit parmi les procédures ; mais l’après-midi, il se fit un coup de lumière ; l’esprit descendit sous la forme de deux députés, retour de Russie, M. Marcel Cachin et M. Marius Moutet.

M. Marcel Cachin, le visage violemment contracté, avec une sorte d’ardeur sombre, les yeux brillans et humides, dans l’exaltation qui, au contact du délire slave, s’était emparée de son âme celtique, peignit en traits de flamme ce qu’ils avaient vu. — Dans l’armée russe, il n’y a plus aujourd’hui que des soldats-citoyens et des officiers ayant une conception nouvelle de leur rôle ; des représentans élus veillent au respect des institutions démocratiques introduites au front. Les comités des ouvriers et soldats, les Soviet, en particulier le Soviet de Pétrograd, qui avait délégué dans le gouvernement provisoire M. Kerensky, l’emportent définitivement. Ils veulent que le gouvernement ne soit pas seulement démocratique à l’intérieur, mais qu’il impose à l’extérieur la politique de guerre et de paix pour laquelle, en Russie, toutes les tendances socialistes et révolutionnaires combattent. Ce que demande le Soviet, ce n’est pas une paix séparée, ni une paix à tout prix. C’est pour une guerre de véritable libération qu’il s’est prononcé. — « Obtenez donc de vos gouvernans, dit le Soviet aux socialistes alliés, qu’ils marquent enfin des buts de guerre qui montreront de façon évidente que, si la guerre dure encore, la faute en est uniquement imputable au militarisme allemand. L’infaillible moyen de le montrer, c’est une réunion de l’Internationale. »

Sur quoi, la conscience française de M. Cachin et de M. Moutet a plus qu’un scrupule, une révolte. Ils distinguent obligeamment : « Nous sommes, ont-ils déclaré sur-le-champ au Soviet, opposés à une réunion internationale convoquée dans les conditions que vous savez, mais une convocation émanant de la Révolution russe recevra de nous le meilleur accueil. Quant aux formules de paix du Soviet : « Pas d’annexions, pas de contributions, » elles sont nôtres. Mais la question d’Alsace Lorraine, mais les ravages subis par la Belgique et le Nord de la France, est-ce que cela prend le sens d’une politique d’annexion et d’indemnité ? En poursuivant ces buts, ne sommes-nous pas au centre même de la politique de guerre du socialisme ? — Non, répondent les socialistes russes, ce n’est pas là la politique du socialisme. Celle-ci consiste dans la consultation des populations intéressées et dans le respect absolu de leur verdict. » M. Moutet, non moins brûlant que son compagnon.