justice, les lois, de décréter que la force prime le droit, crée le droit, de faire « prévaloir les ténèbres. » Leur armée peut être une puissante armée, c’est aussi une bande, et les exploits de cette bande sont prouesses de pirates. Leur frénésie de dévastation s’aggrave d’une fureur de pillage [1]. Bijoux, montres, glaces, vêtemens, tout est de bonne prise. Certes on se bat, on tue, on brûle, mais en même temps
... On pense à son petit ménage :
On médite, ajoutant Shylock à Galgacus,
De meubler son amante aux dépens des vaincus ;
et l’on se fait détrousseur de cadavres, cambrioleur de maisons
abandonnées. Dans les cours des châteaux, tandis que les châtelains agonisent en des mares de sang, les marteaux rythmiques
clouent les caisses d’emballage. La blonde fiancée y trouvera un
cadeau de son Fritz bien-aimé, et la vue d’une pendule ou de
pièces de linge fanfreluche mouillera ses yeux de douces
larmes... L’ironie s’aiguise en ces vers. Mais ailleurs quels
accens d’émotion profonde ! Et quelle inexprimable souffrance
en effet d’assister au pillage d’abord, puis au dépècement de la
patrie envahie, surtout quand cette patrie est une terre bénie
entre toutes et dont le souvenir est une fierté, la France ardemment aimée et désirée par le poète durant dix-huit ans d’exil,
revue enfin, mais blessée et saignante, et, semble-t-il, désormais
impuissante à remplir sa mission traditionnelle.
L’amour de la terre française a suscité chez nous et dès longtemps toute une littérature pathétique. Cet amour est au fond de l’œuvre de Ronsard qui, avant d’écrire ses Discours, avait chanté dès sa jeunesse la campagne du Vendômois, les rives du Loir et de la Braye. Et Chateaubriand nous dit en des lignes émouvantes le cas de ce Français, obligé de fuir pendant la Terreur, achetant pour quelques deniers une barque sur le Rhin, chassé d’une rive à l’autre, vivant au milieu du fleuve et dont « toute la consolation était, en errant dans le voisinage de la France, de respirer quelquefois un air qui avait passé sur son pays. » Chateaubriand, et combien d’autres ! Le thème que
- ↑ L’Année Terrible. Décembre : Prouesses borusses.