aux côtes saillantes ; mastodontes du Poitou qu’un stage à l’Artillerie de montagne avait transformés en épaves, la vue d’un licol ou d’un bât les secouait d’une fureur affolée. Par des fuites éperdues, par des ruades et par des morsures, la plupart essayaient de se soustraire à de nouvelles relations avec l’humanité. D’autres opposaient la force d’inertie, refusaient de se mouvoir ou se couchaient obstinément ; d’autres enfin manifestaient pour la visite obligatoire aux maréchaux ferrans une répugnance invincible. Les candidats évincés remerciaient le destin qui leur fut contraire ; ils contemplaient, railleurs, les péripéties de luttes fertiles en incidens et qui n’étaient pas sans aléas. Ils n’épargnaient pas les quolibets à leurs infortunés camarades qui maudissaient en eux-mêmes le jour où s’était révélée leur vocation de muletiers. Le terrain de la promenade quotidienne semblait être aussi dangereux que les tranchées de la Somme, et l’entraînement des animaux de bât aussi meurtrier qu’un assaut. Mais la sagesse du vieil adage « plus fait douceur que violence » est manifeste tôt ou tard. L’aménité, le pansage méticuleux, les tapes amicales et les croûtes de pain donnent enfin leurs résultats habituels. Le sourire change de camp et les muletiers connaissent enfin la joie d’être au nombre de ces » employés » qui vivent près des cuisines et collectionnent les nouvelles loin du tumulte des combats. Ils ont oublié la fragilité des bonheurs terrestres. Ils ne savent ce que leur réserve l’hiver macédonien, et combien enviable leur paraîtra la boue stable des tranchées quand, en apportant les vivres aux premières lignes, ils erreront la nuit dans les marécages sans repères et sans fin où s’abattra leur mulet fourbu.
Quoique le troc de véhicules bien roulans contre de capricieux animaux de bât soit l’opération essentielle qui transforme un régiment d’infanterie ordinaire en régiment du « type alpin, » fortement altéré d’ailleurs par les vêtemens de toile khaki elles casques coloniaux qui sont indispensables même en septembre dans ce pays à contrastes violens, les nouveaux débarqués n’ont pas encore accompli tous les rites de l’initiation à la guerre orientale. Ils doivent franchir avant leur départ le degré supérieur et passer par les mains expertes des médecins. Ils ont beau affirmer qu’ils subirent déjà mainte fois en France les effets de tous les vaccins préventifs. Le choléra, la tvphoïde ont fait trop de victimes pour que de nouvelles piqûres ne