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pouvait point tarder. L’occasion en a été la note de M. Milioukoff aux Alliés sur « les buts de guerre » de la Russie. Il avait écrit les deux mots de « garanties » et de « sanctions. » Les internationalistes qui ne craignent rien tant que de blesser l’intéressante Allemagne ont exigé d’abord qu’il les expliquât, puis qu’il expliquât son explication. Sur ce point, dans la forme, le Gouvernement provisoire a cédé. Mais, encore qu’avec une prudence à laquelle l’obligeaient l’état des esprits et la balance des forces, il a commencé à examiner les titres du Comité à dicter ses volontés au nom du peuple russe ; et commencer à les examiner, c’est s’acheminer à les réviser. Le prince Lvoff et ses collègues se sont souvenus qu’il y avait tout de même en Russie une assemblée légalement élue, la Douma ; que, dissoute par l’Empereur, elle avait refusé de se séparer ; et que, la révolution s’étant faite autour d’elle et à propos d’elle, il serait paradoxal que le bouleversement des institutions eût abouti, en ce qui la touche, à la dissolution que le mouvement d’où il est sorti aurait eu pour objet d’empêcher. En la Douma, la Russie continue donc d’avoir une représentation imparfaite peut-être, mais légale, et qui reste la seule légale, sa seule représentation, tant que la Constituante n’a pas été nommée. Pour nous, nous ne nous lasserons pas de le redire : il faut que la Russie ait un gouvernement et qu’elle n’en ait qu’un. Il le faut d’autant plus impérieusement, et d’autant plus tôt, que les généraux Alexeïeff, Roussky, Korniloff signalent une concentration de vaisseaux et de transports allemands vers Liban. Peut-être n’est-ce qu’un épouvantait ; mais peut-être sont-ce des préparatifs. Militaire et diplomatique, l’une couvrant et appuyant l’autre, les deux manœuvres allemandes se font de toutes mains et à toutes fins. Derrière la machination de paix, il y a l’opération de guerre, et derrière la machination de guerre, il y a l’opération de paix. Réglons-nous sur ce que l’Allemagne ne peut plus longtemps attendre la paix, et que, militairement ou diplomatiquement, par la ruse ou par l’audace, elle doit ou la surprendre ou l’arracher.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant,

RENÉ DOUMIC