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été privés de rien. Peu à peu se sont déclarées, accusées, la crise des prix et la crise des quantités, l’une n’allant pas, ou du moins n’atteignant pas un certain degré, sans l’autre. Des restrictions s’imposaient, du fait même qu’on ne s’était pas imposé de précautions. Mais on pouvait nous restreindre plus discrètement : il n’y avait pas lieu de s’en faire tant de gloire. Même si la rareté de quelques denrées, si la pénurie fût devenue extrême, — et chacun sait que nous en sommes loin, — il eût fallu le dissimuler, l’atténuer, ne pas fournir à l’ennemi cette raison de rapprocher artificieusement notre situation de la sienne, d’enfler à ses propres yeux les effets de sa guerre sous-marine, de ne point désespérer, de se roidir et de tenir encore. Au contraire, nous exagérons notre mal, nous l’étalons. Nos communiqués sont très bons : ne les défaisons pas par nos circulaires. Soutenons la puissance de nos armes par la prudence de nos actes.

D’autant plus que ce n’est que la stricte vérité. Il n’y a, en ce qui concerne les approvisionnemens, entre notre situation, quelque attention qu’elle commande, et celle des Empires du Centre, aucun rapprochement fondé et légitime. Nous voyons bien où nous en sommes et nous ne savons qu’imparfaitement où ils en sont ; néanmoins, nous ne l’ignorons pas tout à fait, et nous pouvons le deviner ou le conjecturer à de nombreux indices qui se multiplient, se confirment et se corroborent. L’acharnement lui-même des dernières batailles est un signe que l’Allemagne sent venir l’épuisement de ses moyens ; mais nous avons des aveux explicites : les lettres et discours à la nation allemande, les appels de Hindenburg, les ordres du jour de Grœner, l’étrange communiqué de Ludendorff, où il déclare, — comme Hamlet au cimetière, — qu’il s’agit « d’être ou de ne pas être, » toute cette littérature par laquelle il essaie de masquer la retraite, de replâtrer la fissure et de redresser le fléchissement ; dans un autre genre, les grèves, chaque semaine plus fréquentes, plus étendues, et les troubles chaque fois plus aigus, dont elles sont mêlées. De cette insurmontable lassitude qui présage et précède de plus ou moins près la défaillance, nous avons même une preuve décisive : la manœuvre allemande pour la paix. Le besoin de la paix à tout prix, la nécessité en quelque sorte physiologique de la paix, s’échappe de toutes les bouches, jaillit de toutes les veines, suinte par tous les pores de l’Allemagne. Il n’y a de dissentiment ou de divergence de vues que sur l’espèce de paix qu’on doit rechercher pour avoir le plus de chance de l’obtenir au plus tôt : paix séparée avec l’un des adversaires que l’on détacherait du bloc, ou paix générale avec tous ?