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laissant entendre que nous avions sans doute conçu de trop vastes espoirs et que nos désirs nous avaient emportés trop loin, trop vite. Les batailles, il est superflu de le dire, ne se livrent pas sur le papier. Sur le terrain, celle-ci, une bataille de l’Aisne, sera, en toute circonstance, rude et difficile. Si l’on tient à s’en assurer, qu’on relise le récit de ce qui se passa, il y a cent trois ans, vers Craonne, le moulin de Vauclerc, la ferme Heurtebise et la Vallée Foulon, alors que le général en chef s’appelait Napoléon, et que les agens d’exécution étaient les maréchaux Ney et Victor, sans que d’ailleurs ils eussent devant eux ni fortifications de campagne hérissées et creusées à loisir, réseaux de vingt mètres d’épaisseur ou abris de douze mètres de profondeur, ni artillerie lourde à grande portée et à grande puissance. La méditation de leurs travaux, le souvenir de leurs fatigues et de leurs pertes sont bien faits pour nous rendre non pas modestes, — il ne faut pas être trop modeste quand on entreprend, et si on l’était trop, on ne risquerait plus rien, — mais constans et persévérans. Faute de mesurer les réalités, et de mesurer sur elles nos forces pour mesurer les possibilités, nous nous ménageons à nous-mêmes des déceptions, que la propagande ennemie, toujours aux aguets, ne manquera pas d’exploiter chez elle, chez les neutres, et, à l’occasion, chez nous. Tâchons d’être à la fois sincères et exacts.

Notre offensive du 16 avril ne nous a pas, il est vrai, donné d’abord tout ce que nous nous en étions promis, mais nous avions eu le premier tort d’en attendre plus qu’elle ne pouvait donner. Ensuite, nous avons eu le deuxième tort, qui aggravait le premier, de ne pas voir tout ce qu’elle avait déjà rendu et ce qu’elle était capable de rendre encore. Nous n’en avons retenu que le bénéfice positif ; il nous a paru mince, car nous l’avons borné aux limites, relativement étroites, du terrain gagné ; les prisonniers capturés par milliers, les canons enlevés par centaines ont peu compté pour nous, qui ne voulions compter que les lieues et les heures. A plus forte raison avons-nous dédaigné le bénéfice négatif, énorme pourtant, d’avoir prévenu, empêché, dispersé une attaque de Hindenburg, lequel n’avait vraisemblablement pas rassemblé en ce point plus de quarante divisions dans la seule pensée de nous barrer la route. Nous la fermer ne lui suffisait pas, il songeait à s’en ouvrir une, et si nous ne nous étions pas jetés sur lui, c’est lui qui se serait rué sur nous. Mais, quand nous avons fait le total, parce qu’il y avait des quantités d’ordre différent qui ne s’additionnaient pas, nous ne nous y sommes point retrouvés. Nous n’avons plus parlé que de