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UNE SEMAINE DE RÉVOLUTION
À
PÉTROGRAD


Pétrograd, 4/17 1917.

La Révolution vient d’éclater à Pétrograd et dans plusieurs autres grandes villes russes. Tous les esprits clairvoyans l’attendaient. Mais on ne la croyait pas si proche.

Depuis des mois, on avait l’impression, — comme ce fut le cas, en 1789, — de « danser sur un volcan. » Malgré les morts accumulés, malgré les inquiétudes de la guerre, malgré les cruelles insuffisances du ravitaillement de la ville, malgré même les rigueurs d’un terrible hiver, une folie de plaisir s’était emparée des habitans de Pétrograd. Des fortunes scandaleuses s’édifiaient en quelques semaines. Peu sûrs de la valeur du « papier » après la guerre, les « nouveaux riches » se hâtaient de le monnayer en jouissances immédiates. Ils éclaboussaient le peuple de leur luxe insolent et parfois criminel, jamais on n’avait vu tant d’autos circuler dans les rues, de diamans scintiller sur les épaules des femmes. Les théâtres regorgeaient de spectateurs. Dans les restaurans à la mode s’étalait une orgie incessante. Une bouteille de Champagne se payait 100 roubles (200 fr.) et on s’amusait à le faire couler à flots. Afin de parer aux inconvéniens de la loi contre l’usage de l’alcool, les grands restaurateurs avaient des « hommes de paille, » chargés de subir à leur place les mois de prison. Le procès Manassiévilch-Manoniloff avait été un scandale public. On vivait dans une atmosphère de lucre et de trahison.