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frontières mêmes, demeure confus et obscur. Nous avons le droit et le devoir de le dire, au nom de la cause commune, précisément pour que nos amis l’entendent, et si l’ennemi doit l’entendre comme eux, nous ne courons pas le risque de lui apprendre ce dont il est aussi bien et probablement mieux instruit que nous. Ce qui continue de se passer en Russie, à l’intérieur et aux frontières, nous préoccupe. L’état de l’armée, en premier lieu, et celui des usines de guerre. Ce n’est guère, ce n’est point du tout, le moment de chercher des formes de discipline inédites, modernes, électives, démocratiques et socialistes, parce qu’il n’y en a pas, parce que l’armée est hiérarchie, et parce que la hiérarchie est subordination ; ou parce qu’alors il n’y a plus d’armée, il n’y a plus qu’une foule, qui, comme toute foule, n’est que cohue. En second lieu, l’état politique, la crise de l’autorité. Nous voyons bien un gouvernement, dont l’existence, la composition, les intentions, les actes, les discours, les propos nous rassureraient, si nous étions certains de ne pas entrevoir derrière lui un organe parasitaire qui tend, d’une volonté obstinée et têtue, à se faire le gouvernement du gouvernement. Et quel organe ! lrradiant et proliférant, envahissant, tentaculaire : un Comité, d’abord de seize cents membres, ouvriers et soldats, puis, comme nous l’avons noté, de deux mille quatre cents, puis, à présent, de trois mille cinq cents, avec des sous-comités, exécutif, consultatif, qui siègent en permanence, grouillent, s’agitent, pérorent, décrètent, disposent, imposent, font leur cuisine, mangent et couchent au Palais de Tauride. Ce Comité a, en paroles, la bonté de laisser au gouvernement provisoire la décision et la responsabilité, mais ce n’est qu’une sagesse toute verbale, puisqu’il se réserve le contrôle, avec sa sanction révolutionnaire, la désobéissance, ou l’opposition ouverte, et qu’il est aisé de deviner ce que peut être un contrôle exercé par trois mille cinq cents meneurs qui se sont en réalité désignés eux-mêmes, et de qui l’auto-investiture nous révèle que ce sont les plus exaltés, les plus remuans, les plus intrigans ou les plus violens, les plus audacieux. Quoique, dans l’armée, des efforts sincères soient faits pour restaurer le commandement, qui ne viennent pas seulement des généraux, et auxquels des soldats eux-mêmes s’associent, il y a encore trop de réunions, trop de manifestations militaires, trop d’ordres du jour votés par les troupes, lorsqu’il suffit qu’il y ait des ordres, et qui ne soient pas mis aux voix. Les désertions, au début, avaient été assez nombreuses. A l’image de la nation, l’armée russe est une armée de paysans. Spontanément ou sur provocation, tant on leur répétait ou ils se