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et telle bataille, sans doute, a été perdue pour l’avoir commise ; mais c’est la faute contraire, qui se paie aussi cher, que de l’estimer trop, car un homme ne vaut jamais seulement ce qu’il vaut, mais ce qu’il vaut, plus ce qu’on croit qu’il vaut. Ne rapetissons pas celui-ci, mais non plus ne le grossissons pas outre mesure. Non far idolo un nome. Il y a une fente dans le bois de l’idole ; ne la bouchons pas de notre propre main. La foi populaire dans le maréchal baisse visiblement en Allemagne même : ne lui donnons pas d’aliment ; ne contribuons pas de nos deniers au culte du dieu étranger.

Les autres fronts, malgré quelques sursauts intermittens, sommeillent un peu. Ils dorment même un peu plus longtemps qu’on ne le souhaiterait pour une complète et pleinement efficace concordance des poussées. Le front italien a été depuis trois mois immobilisé par la précision, fondée sur de sérieux indices, d’une nouvelle et plus redoutable attaque austro-allemande débouchant du Trentin, et venant frapper le royaume à son point le plus sensible, en Lombardie ; péril qui, maintenant, paraît heureusement évité. L’armée de Macédoine est retenue, entravée par les machinations de la Grèce royale, qu’elle a toujours et qu’elle sent toujours dans son dos. Le front roumain a traversé toute sorte de péripéties : on a dit que Mackensen se préparait par là à une « chevauchée de butin, » à une razzia de blé, vers Odessa, la Bessarabie et les Terres Noires ; et puis, au contraire, que ce front allait être sinon raccourci, du moins aminci, et subir un « repli élastique, » dans le style de Hindenburg ; on dit, à présent, de temps en temps, que le canon y tonne. Non pas seulement le canon roumain, mais le canon russe, et la nouvelle en serait bien accueillie. L’Allemagne aurait reporté ses projets sur le secteur septentrional, sur la Dwina et le rivage de la Baltique ; et ces deux résolutions seraient plutôt successives que contradictoires ; entre les deux, il y aurait tout simplement la révolution russe. Il est impossible, Hindenburg ayant la tête faite comme il l’a faite, et ayant employé sa vie. comme il l’a menée, qu’il n’ait pas eu l’idée obsédante de profiter du désordre (c’est l’expression la plus modérée dont on puisse user) créé par la chute de l’ancien régime et prolongé par la peine qu’a à s’instituer solidement le régime nouveau, pour prouver son génie en satisfaisant sa monomanie et réaliser son grand dessein en marchant sur Petrograd. On signale, dans cette direction, des mouvemens de troupes qui coïncident et semblent combinés avec des mouvemens suspects de la flotte allemande vers Liban. Cependant, ce qui se passe en Russie, à l’intérieur, et aux