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qui s’entre-croisent et s’emmêlent. Jugez de ce que ce devait être sur une terre détrempée et fondante, sous des rafales de pluie et de neige, quand on était obligé d’y aller de tout le corps, des pieds et des mains, en face d’ennemis nombreux, serrés comme des grains de sable, couverts par une abondante artillerie, et animés à résister avec acharnement !

Pourtant, nos imaginations, affranchies de ce que la réalité comporte nécessairement de lenteur et de pesanteur, fouettées par d’immenses espérances, aiguillonnées par le spectacle affreux du martyre de la patrie, avaient volé, d’un battement d’ailes, jusqu’à Laon ; et le fait est que, le mardi matin, nos troupes, à bout d’haleine, s’étaient arrêtées au bas des pentes du plateau. Mais, le mercredi, elles les escaladaient, après avoir emporté les villages de Chavonne, de Chivy, tout le terrain jusqu’aux abords de Braye-en-Laonnois. Dans la suite, nous nous emparions, au Nord de Chavonne, du village d’Ostel, du village même de Braye-en-Laonnois, de tout le terrain jusqu’au Tilleul de Courtecon, où nous croisions le légendaire Chemin des Dames. L’un après l’autre, nous prenions, de gauche à droite, dans les coupures qui, du Sud au Nord, entament le plateau, Laffaux, Nanteuil-la-Fosse, Sancy, Jouy, Aizy. « Sur la rive Sud de la rivière, — ce sont les termes du communiqué, — une attaque vivement menée nous donnait la tête de pont organisée par l’ennemi entre Condé et Vailly, ainsi que cette dernière localité tout entière, » ce qui faisait aussitôt tomber le fort de Condé-sur-Aisne. Le deuxième secteur, celui de Craonne, est un pays prédestiné à l’histoire et tout retentissant de noms illustres. Voici, autour de Craonne même, à l’Ouest, la ferme de Heurtebise, le plateau de Vauclerc, que nous tenons ; à l’Est et au Sud-Est, Juvincourt, que les Allemands nous disputent âprement, la Ville-aux-Bois, contre laquelle ils exercent en vain leur fureur. Puis nous entrons, par Berry-au-Bac, Sapigneul et le Godat, qui forment liaison, dans le troisième secteur, à jamais célèbre, lui aussi, le secteur de Reims. Nous battons l’ennemi, à Berméricourt, à Loivre, à Courcy, dans le périmètre du fort de Brimont qui, dit-on, ne répond plus. De l’autre côté de Reims, nous nous sommes installés sur la chaîne de hauteurs qui court du Mont-Cornillet au Mont-Haut, à la Cote 227, au bois de Moronvilliers, positions réputées longtemps inexpugnables, et que, de la vallée de la Suippe, nos jeunes officiers allaient considérer, l’année dernière, avec envie, comme autant de cimes interdites.