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Écoute une petite chose. Les femmes et les jeunes filles de Franceville cultivent aussi bien que les hommes à tous égards. Elles labourent avec deux et quatre chevaux hauts comme de petites montagnes. Les femmes de Franceville tiennent aussi les comptes et les factures. Elles font un prix pour chaque article ; et il n’y a pas de marchandage qui tienne, quoi qu’on puisse leur raconter. On ne saurait les tromper sur la valeur d’un seul grain. Et cependant, de leur propre gré, elles sont d’une générosité incroyable. Quand nous revenions de notre service dans les tranchées, elles se levaient à n’importe quelle heure et nous faisaient des boissons chaudes de café au lait avec du pain et du beurre. Puisse Dieu récompenser ces dames un millier de fois pour leur bonté !

Mais n’en laissons pas tout le soin à Dieu. Je désire que tu m’achètes dans la ville d’Amritzar, chez Davee Sahai et Chumla Mall, un tapis, large d’un yard et long d’un yard et demi, bon teint et de bonne qualité, d’une valeur de quarante roupies. Le magasin devra l’envoyer, tous frais payés, à l’adresse que j’ai écrite en caractères anglais au coin de ce papier. C’est la dame de la maison où j’ai logé à Franceville pendant trois mois. Bien qu’elle fût d’un âge avancé et appartint à une grande famille, je n’ai pourtant jamais vu, au cours entier de ces trois mois, la vieille dame rester oisive. Ses trois fils étaient partis pour la guerre. Il y en avait eu un de tué, un autre était à l’hôpital et un troisième à ce moment-là était dans les tranchées. Elle n’avait point de pleurs ni de gémissemens pour la mort ou la maladie, mais sans un mot elle acceptait l’épreuve. Pendant que j’étais dans sa maison, elle se dépensa tellement à mon service que je ne saurais trouver de mots pour décrire ses bontés. De son plein gré, elle a lavé mes vêtemens, fait mon lit et ciré mes bottes tous les jours pendant trois mois. Elle lavait le plancher de ma chambre tous les jours avec de l’eau chaude qu’elle avait elle-même fait chauffer. Chaque matin, elle me préparait un plateau avec du pain, du beurre, du lait et du café. Quand il nous fallut quitter ce village, cette vieille dame pleura sur mon épaule. C’est étrange ! Je ne l’avais jamais vue pleurer pour son fils mort, mais elle pleurait pour moi. Bien plus, au moment de la séparation, elle voulut que je prisse un billet de cinq francs pour ma dépense de route.

Au cas où il y aurait quelque doute sur la qualité ou la couleur