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été trop brutal et trop sacrilège : il est allé, par-delà l’Océan même, frapper et meurtrir ce que les Américains ont toujours déclaré tenir, eux aussi, pour « plus cher que la vie ; » dès lors, la neutralité ne leur a plus été « ni possible, ni désirable. » Les États-Unis entrent donc dans cette guerre, qui n’était pas la leur, parce que « le droit est une chose plus précieuse que la paix. » Leur droit, à eux, premièrement, car ce n’est pas leur intérêt qui a dicté leur sentiment, on ne saurait assez l’affirmer, mais il se trouve que leur sentiment suit la même pente que leur intérêt : le droit de faire ce qu’ils veulent, d’aller où ils veulent, d’acheter et de vendre à qui ils veulent; le droit, en un mot, d’être neutres, et ils ne cessent de l’être que parce qu’on ne leur a pas permis de l’être. Mais, deuxièmement, ou simultanément, le droit des autres, qu’il vaut mieux nommer le droit des hommes; ce qu’au XVIIIe siècle, les Américains, furent les premiers à nommer « les droits, » si c’est nous qui généralisâmes, si c’est la Révolution française qui ajouta : « de l’homme; » et c’est à savoir : la liberté, la sûreté de la personne et des biens, la résistance à l’oppression. Ce second point culmine et domine. C’est comme le feu allumé sur la hauteur. Jamais une guerre n’eut ce caractère. Jamais un État ne fut, comme l’est l’Empire allemand, mis, d’un arrêt presque unanime, au ban de l’humanité. Ou du moins il y a très longtemps, quand se heurtèrent déjà la civilisation romaine et la barbarie germanique, dans un passé que l’on croyait aboli : alors tout ce qui était homme, et qui ne l’était pas seulement par la figure, dut se révolter sous la blessure et sous l’outrage; mais la zone de protection contre la barbarie s’est agrandie de tout ce que, dans l’ancien et dans le nouveau monde, la civilisation a gagné. L’interdiction, l’excommunication est aujourd’hui plus que méditerranéenne, et même plus qu’européenne ; elle est, dans toute l’étendue du terme, universelle.

D’autres, prenant texte de la coïncidence des faits entre la révolution russe et l’entrée en guerre des États-Unis, ont souligné et souligneront le caractère démocratique d’une guerre où ils verraient volontiers, par réminiscence et reviviscence, une guerre de propagande, de prosélytisme. Et il serait naturel qu’une considération de ce genre ne fût pas absente des résolutions prises par une nation historiquement démocratique et chez qui, théoriquement, la démocratie a trouvé, outre ses docteurs et ses législateurs, tels un Hamilton, un Madison, un Jay, ses mystiques, ses prophètes, ses poètes, tels un Bancroft, un Walt Whitman. Mais il y aurait là-dessus, tant sur l’idée elle-même que sur son avenir, que sur les conditions de la