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que « tous montraient un visage joyeux. » Voici qui est beaucoup plus allemand : « Il passe parmi nos troupes de l’Ouest comme une vague de joie, devant le mal qui a été fait à autrui, » ricane la Gazette de Voss. L’autre semaine, un patriote de Berlin demandait qu’on se préoccupât dès maintenant de révéler après la guerre l’Allemagne au monde qui l’ignore. Peine désormais superflue : comme certains hypocrites qui ne se trahissent tels qu’ils sont que dans la débauche ou dans l’ivresse, l’Allemagne, telle qu’elle est profondément, perpétuellement, invariablement, s’est révélée elle-même pendant la guerre. Et le monde ne l’a pas trouvée belle! Si peu, qu’en ses deux hémisphères et en ses cinq parties, il s’est, à force de la regarder, tourné presque tout entier contre elle.

Elle a beau se guinder en des poses fanfaronnes: elle commence à s’en inquiéter pour le présent et pour l’avenir, pour aujourd’hui et pour demain. Car, une fois battue, elle sera abattue pour longtemps. Elle feint de n’y rien comprendre. « On nous hait partout, » gémit-elle, et elle ne veut voir dans cette haine que le résultat d’une espèce de conspiration universelle. Mais comment ne la haïrait-on pas, et n’est-ce pas elle qui, pendant quarante ans, autant dire depuis qu’elle existe, n’a cessé de conspirer contre le genre humain ? N’a-t-elle pas ravalé, abaissé, avili la paix et la guerre, souillé la vie et la mort ? N’a-t-elle pas renversé toutes les valeurs morales, glorifié tout ce que les hommes avaient coutume de mépriser, et méprisé tout ce qu’ils respectaient ? L’intrigue, la division, l’espionnage sont les plus innocens de ses moyens de guerre, la réserve diplomatique et policière de ses armées. Naturellement, elle devait tenter d’exploiter à son profit, au profit de la paix qu’elle appelle de son vœu secret, le grand hasard, l’aventure de la révolution russe. Cette révolution suit son double courant et coule, avec, à ce qu’il semble, une tendance à se canaliser. Au premier jour, nous y avons deviné, plutôt qu’aperçu, la main de trois agens ou facteurs principaux, les zemtsvos, les associations ouvrières, les soldats. La majorité de la Douma, libérale, mais légalitaire, emmaillotée dans les formes, sauf quelques « extrémistes, » a été passive, a subi. Dans un pays qui a la constitution sociale de la Russie, il était impossible que les paysans, qui forment plus des trois quarts de la population, se tinssent en dehors du mouvement; et, dans un pays qui a la configuration géographique de la Russie, il était très difficile qu’ils pussent s’y mêler tout de suite. Enfin, dans un pays qui, hier encore, avait l’organisation politique et administrative de la Russie, une autocratie traditionnelle, une église privilégiée, une