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de traduire encore quelques fragmens de cet éloge, qui auront de quoi révéler au lecteur français le peu d’importance attaché désormais par les plus célèbres des professeurs de théologie luthérienne d’outre-Rhin aux dogmes et à la qualité surnaturelle d’une religion qu’ils sont officiellement chargés d’enseigner :

« L’on ne saurait imaginer un malentendu plus complet que celui sur lequel s’est fondée la haine séculaire entre les Chrétiens et les Turcs. Il est bien vrai que les Mahométans ne connaissent pas nos deux Testamens, et que Mahomet n’a point compris Jésus. Mais il n’en reste pas moins que, sous maints rapports, la religion des Mahométans est supérieure à la nôtre. Et déjà n’est-ce pas une chose prodigieuse que cette religion ait pu, en si peu de temps, se répandre depuis l’Inde jusqu’à l’Espagne ? Autre point à noter : c’est que les Turcs ont dû à leur religion une parfaite unité de croyances, tandis que nos croyances, à nous, ne nous ont point donné cette unité de foi. Mais le trait dominant de la supériorité de la religion des Turcs est que celle-ci leur affirme que c’est Dieu qui ordonne et règle toutes choses. Le mot Islam signifie exactement ce que notre Bible entend par le mot foi, c’est-à-dire une soumission complète de l’homme à la volonté divine. Si bien que nous répétons avec Goethe que, « en réalité, tout homme sage se trouve être un croyant à l’Islam ! » — Et comment ne pas profiter encore de cette occasion pour indiquer la place considérable accordée au panthéiste Goethe dans tous les sermons et écrits de ces théologiens allemands ? L’un d’eux exulte à la pensée que les trois livres qui ont trouvé le plus détecteurs dans les tranchées allemandes sont la Bible, le Faust de Gœthe, et le Zarathustra de Nietzsche. Ou bien c’en est un autre déclarant que « les ingrédiens dont est formée aujourd’hui l’âme allemande sont : l’or de Luther, l’argent de Gœthe, et le fer de Bismarck. »


Voilà certes des conceptions bien singulières de l’idéal chrétien ! Mais les unes comme les autres de toutes celles que j’ai mentionnées jusqu’ici nous apparaissent revêtues d’un caractère si « temporel » que nous avons peine à les regarder comme énoncées par des « pasteurs de cour » ou par des professeurs de théologie. La présente guerre a eu, évidemment, pour effet de transformer là-bas un bon nombre de prédicateurs attitrés de l’Évangile en autant de simples orateurs ou pamphétaires politiques, — sauf même à leur faire peut-être oublier trop complètement les convenances que leur imposaient leurs fonctions habituelles. Tandis que l’intérêt capital du très