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Mais Nietzsche et les Allemands, païens impénitens, se révoltent contre cette mesure, et cette orthodoxie de la sagesse : elles ne sont pour eux que vitalité inférieure et lâcheté :


Une haine profonde les anime contre la notion même d’un cosmos que l’on peut découvrir, ou d’une stable nature humaine que l’on peut respecter. La Nature, nous dit-on, est un symbole artificiel qu’emploie la vie, la Vérité une convention temporaire, l’art l’expression d’une personnalité ; la guerre vaut mieux que la paix, l’effort que la réalisation, l’intuition que l’intelligence, le devenir prime la forme, la volonté, la moralité.


Tout cela n’est qu’une révolte contre les entreprises ardues et confuses de la raison, contre la science, les institutions humaines, les contraintes morales :


D’autres ont dit que l’homme est un être rationnel. Mais pour l’Allemand, sa raison est chose éventuelle et idéale, tandis que son animalité est chose essentielle et profonde. C’est le paganisme qui est la religion primitive et universelle.

Et depuis quatre cents ans les Allemands tâtonnent désespérément pour retrouver leur « moi » pur, pour restaurer leur paganisme primitif, et rejeter loin d’eux tout l’héritage de la Grèce et du Christianisme, toute la sagesse acquise de l’homme et les conquêtes de la raison. Aujourd’hui ils aboutissent, et appliquent à la réalité les instincts puérils de leur égotisme transcendant. Nous savons comment. Mais, pour eux, qu’importent les conséquences ? Elles ne font que prouver le sublime désintéressement de leur égotisme, la pureté de leur folie sacrée, l’idéalité de leur volonté absolue.


Si l’Allemagne est vaincue, ce n’est pas elle qui aura tort, mais le monde, la raison humaine, l’humanité entière. Tel est l’égoïsme colossal auquel aboutit cette pensée.

On devine avec quelle hauteur de mépris Santayana rejette cette doctrine et la barbare puérilité de cette vanité :


Toute la philosophie transcendante est fausse : elle n’est qu’une vue personnelle de l’esprit. La volonté n’est absolue ni dans l’individu, ni dans l’humanité. La Nature n’est pas un produit de l’esprit : un monde extérieur existe, antérieur infiniment, à l’idée que l’esprit s’en fait ; et l’esprit le reconnaît et s’en nourrit. Il y a dans l’homme une nature humaine constante que nos passions et nos fantaisies peuvent trahir, mais ne peuvent annuler. Il n’y a pas d’impératif catégorique, mais seulement l’action d’instincts et d’intérêts capables de