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protestantisme. Elle a séparé les deux élémens qui sont au fond de toute religion traditionnelle. Elle a gardé la foi vitale à la volonté animale : elle a rejeté les leçons de l’expérience. Pour elle, le moi seul existe, et cette volonté, qui, pour être absolue, ne peut reconnaître et aimer, — non la vérité qu’elle découvre, mais celle qu’elle crée. A la place du Dieu extérieur elle met l’impératif catégorique du moi, le plus subjectif des sentimens, le sentiment de ce qui doit être. Et cet impératif n’est pas seulement omnipotent, il est impitoyable : Kant rejette expressément comme indigne de cette volonté absolue toutes les compromissions, toutes les conséquences contingentes :


Que cet impératif devienne non la voix d’un lointain décalogue hébraïque, mais d’une jeune vie et d’un tempérament riche, et il sanctifiera toute passion débridée, tout crime romantique. Sous les aspects d’une conscience infaillible devant laquelle rien n’a le droit de subsister, l’égotisme absolu est lancé sur sa carrière irresponsable. Sous prétexte qu’il faut impitoyablement obéir aux mandats de cette conscience envers soi-même, on les appliquera aux autres sans égard pour leurs victimes. Cet impératif catégorique est absolu, est antérieur aux mondes, qui ne sont qu’une création de l’imagination. L’égotisme et les ambitions des Allemands sont d’antiques folies de la race des hommes, mais ils prennent ces passions vulgaires pour l’esprit créateur de l’univers.


Et c’est ainsi que Kant fut le prophète, mieux, le fondateur de cette nouvelle religion allemande.

Fichte la perfectionna. L’objet véritable de la volonté absolue n’est pas tel objet, tel plaisir, mais le vouloir. Plus ce vouloir est intense, désintéressé, mieux il manifestera volonté absolue. L’héroïsme qui consiste à se briser contre des obstacles insurmontables est donc peut-être la suprême manifestation de l’idée divine. La volonté ose périr, afin d’avoir tout osé. Au milieu des ruines elle reste idéalement victorieuse. Et pour Fichte cette volonté, identique à l’idée, s’identifie à la vie de la nation allemande. Pour elle, il veut cette lutte éternelle, mère de toutes choses. Si elle cessait de lutter, elle cesserait de vivre. L’effort incessant est exigé par la volonté absolue. Elle a besoin de sentir des résistances pour devenir plus intensément consciente de soi. L’acquisition vaut mieux que la possession, parce qu’elle donne plus intensément le sens de l’effort et de la puissance :