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sens pour s’élancer plus haut à l’appel de la beauté et du désir.

Avec finesse, il expose le sophisme fondamental de cet idéalisme qui nie la possibilité pour l’esprit de rien connaître que ses idées, de cet égotisme dogmatique qui nie que rien n’existe que ce qu’il connaît :


Une seule visite à une maison de fous peut provoquer cette assertion : elle est fausse cependant. Seul le fou ne peut voir que ses Idées. Mais ses perceptions correspondent à des objets extérieurs : elles expriment une réaction intérieure ; elles sont des rapports sur le monde extérieur qui existe indépendamment des catégories de l’esprit, seul objet de connaissance pour les Allemands.


Mais mieux encore que la théorie kantienne de la connaissance, les idées de Hegel et de Fichte sur le rôle providentiel du peuple allemand dans l’Histoire montrent le côté subjectif, mystique et religieux de cette philosophie, qui est l’héritière du Judaïsme. Elle n’aurait jamais pu se former par la libre observation de la nature et de la vie, comme la philosophie de la Grèce et de la Renaissance. Elle est la théologie protestante devenue rationaliste. Elle réduit Dieu et la nature à des créations de l’esprit ; mais profondément elle croit que l’esprit qui questionne et lutte est absolu, divin, et que les intérêts moraux de la créature seuls importent, et que le monde y aboutit. Dans ce plan de l’univers les principales figures ne sont pas des individus, le Créateur, le Rédempteur, l’âme individuelle, mais des nations et des institutions. La piété biblique des premiers protestans devient un zèle séculier d’ordre social et patriotique, une religion de la vie conventionnelle de ce monde. L’essence de la philosophie allemande et du protestantisme est une : chaque individu doit repenser pour soi les interprétations de la Bible et les doctrines de l’Eglise, les connaissances traditionnelles acceptées, les croyances naturelles de l’esprit, et les réfuter. Pour préserver sa liberté et son idéalisme, il doit chaque jour les reconquérir. La foi est chose primitive et absolue, non une connaissance transmise par d’autres dont l’expérience peut être plus grande que la nôtre : d’où la révolte du protestantisme contre la médiation en religion, contre toute autorité extérieure et contre le Dogme, et de la philosophie allemande, qui est une éternelle critique de toute règle ordinairement acceptée.

Mais la philosophie allemande sur un point dépasse le