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monde, héritiers de toutes les traditions parce qu’aucune tradition particulière ne les accable ni ne les détermine, universels pur ce détachement supérieur de l’artiste suprêmement intelligent qui, tel Walter Pater, reconnaît dans toute perfection sa patrie. Du haut de cet empyrée baigné de lumière translucide, des templa serena qu’il habite, Santayana voit la lointaine confusion du monde et les confuses aspirations des races se résoudre en groupemens précis et nettes directions de destinée. Son calme regard pénètre au-delà des apparences jusqu’aux idées éternelles, et son jugement impartial les pèse avec une tranquille justesse.

Pour ce Grec lucide qui ne saurait être dupe d’aucun mysticisme et qu’aucun verbiage prestigieux ne peut tromper, l’égotisme, qui est la marque de l’immaturité, de l’inexpérience, de la vision imparfaite, est la force partout présente et immanente dans toute pensée allemande. Vingt années d’études approfondies consacrées à cette pensée ont dégagé pour Santayana ce caractère. Elles lui ont montré l’incapacité de pensée objective de l’esprit allemand, l’incapacité de soumission à une règle universelle de la volonté allemande, la foncière puérilité des conceptions allemandes, qui livrent aujourd’hui contre la raison et la liberté un double assaut, par la violence armée et la sophistique. Ce sombre assaut sera repoussé par la force, si possible ; il sera de toutes façons anéanti à la longue par l’indomptable résistance morale que des races plus mûres d’esprit, plus riches de sagesse, opposent avec succès à la grossière volonté du conquérant.

Tout d’abord, Santayana montre l’affleurement dans les poètes comme dans les philosophes allemands de ce subjectivisme foncier de l’âme allemande, romantique, mystique, livrée à toutes les impulsions de l’instinct et de la destinée, enfermée dans la totale relativité acceptée de l’esprit comme dans une prison où elle se complaît, ayant la religion de tout ce qui est familier imparfait, instable, en voie de devenir, éprise du pittoresque et de l’emphatique en art, amoureuse de la musique qui libère les émotions indéterminées jaillies de l’être obscur, et, partant, incapable de vrai idéalisme, de cet idéalisme platonicien, qui voit en tout, non le réel, mais l’idéale perfection que la réalité ne fait que suggérer sans la réaliser jamais ; impuissante donc à s’élever jamais à l’universel, à ce qui rejette les objets des