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divers, d’ailleurs en général disséminés à travers des journaux et des magazines, leur analyse entraînerait trop loin, et n’apporterait que peu à la définition de l’esprit proprement américain. C’est notre point de vue qu’ils soutiennent presque tous ; et, si touchés que nous soyons de l’unanimité de leur offert en notre faveur, leurs thèses nous sont familières, et il suffit de saluer avec reconnaissance en passant leur fervent apport à notre cause.

Mais si dans cette armée de tirailleurs il fallait faire une place à l’un plutôt qu’à l’autre, c’est à coup sûr à Frank Simonds qu’on l’accorderait. Ce rédacteur en chef de la Tribune est le plus intelligent, le plus lucide, le plus brillant des journalistes américains, le plus ardemment attaché à notre cause. Son influence a été immense. Il a profondément modifié l’opinion publique de son pays, par ses analyses pénétrantes des visées allemandes, de l’âme de la France que personne n’a mieux comprise que lui : il a clarifié pour ses compatriotes événemens et idées, donné à la pensée des politiciens, des directeurs de journaux, une forme énergique et des directions efficaces. Tel recueil de ses articles : « Verdun : ils ne passeront pas ! » répandu à des centaines de milliers d’exemplaires, a été pour notre cause la meilleure des propagandes.

Au-dessus de cette production plane la pensée philosophique proprement dite de l’Amérique. Malgré son caractère abstrait, il est impossible de la passer sous silence, car elle est la plus haute manifestation, non seulement du cerveau américain, mais de cette idéalité américaine supérieure qui nous révèle, comme toute philosophie, les tendances profondes de la race, les démarches de son intelligence et un peu de son avenir intellectuel. Et par bonheur, la guerre a produit dans cet ordre d’idées au moins un livre, Egotism in German Philosophy, par George Santayana, qui s’impose par une profondeur de pensée, une beauté de style si rares, une portée philosophique si haute, qu’il est impossible, malgré son caractère ardu et spécial, de ne pas le signaler à part. Certes cette magistrale analyse de l’essence même de la philosophie allemande pourrait être signée d’un nom européen : ses qualités de mesure et de lucidité, de sereine intelligence, de sobre précision, de pénétrante finesse, de grâce aisée, sont grecques ; et Santayana, latin d’origine, semblerait, à première vue, peu Américain. Il l’est cependant comme savent l’être un Whistler ou un Emerson, qui ont cueilli la fine fleur du