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par le travail, l’activité et le patriotisme. Ce fut de profiter du pouvoir politique qu’ils tenaient de l’Empereur pour tromper l’Empereur lui-même et pour écraser leurs rivaux.

Presque toujours, de loin, les problèmes politiques des autres peuples nous paraissent simples et faciles à résoudre. Nous ne tenons pas compte de traditions, de sentimens qui ne nous touchent pas, des situations acquises et des ambitions montantes, de conflits d’intérêts où nous ne sommes pas parties et dont, par suite, nous faisons bon marché. Au début de mon séjour en Russie, je demandais pourquoi le pouvoir ne se décidait pas à appeler au ministère ces hommes « jouissant de la confiance publique, » que réclamaient la Douma et les journaux.

« Rien n’est dangereux, disais-je à des conservateurs, comme ces formules auxquelles la presse fait un sort. En politique aussi la résistance irrite le désir. Les programmes d’opposition sont comme l’amour, dont un de nos poètes a dit qu’il vit d’inanition et meurt de nourriture. Ce qui serait adroit, ce serait de prendre le libéralisme au mot. D’abord, une de ses armes lui serait enlevée. Et puis, qu’est-ce que l’expérience en coûterait ? » On me répondait par des paroles vagues, jusqu’au jour où un homme qui savait la politique de son pays me fit entrer au fond des choses par la démonstration que voici :

« Vous savez ce qui se passe dans une société où les actionnaires sont mécontens de la gestion des administrateurs en exercice. Ils veulent introduire au conseil des administrateurs nouveaux, et il semble que cette solution soit de nature à satisfaire tout le monde. Mais c’est celle justement que ne peut pas accepter le conseil, parce que, par les nouveaux administrateurs, les actionnaires seraient initiés à ses comptes et à ses secrets. Et c’est par-dessus tout ce que ne veut pas un conseil d’administration qui tient à ses privilèges et qui n’a pas la conscience tranquille. Tel est précisément le cas de la bureaucratie. Elle ne veut pas laisser un homme du dehors, un délégué du public, contrôler ses actes et s’introduire dans ses affaires : car elle a fini par regarder les affaires de l’Empire comme ses affaires propres. Aussi, lorsque l’Empereur manifeste la moindre velléité de satisfaire au désir si naturel de l’opinion publique, les conseillers qui l’entourent, et qui ne sont pas, croyez-le, des théoriciens de la contre-révolution, mais des vizirs sceptiques et subtils, viennent lui murmurer à l’oreille : « Mais où