Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desserrer son col. Lorsque, les prières dites, il s’adressa aux députés groupés autour de lui, son trouble était tel que la première phrase de son allocution, où il félicitait l’armée de la prise d’Erzeroum, fut grammaticalement incorrecte. J’entends encore le président Rodzianko, souhaitant la bienvenue à l’Empereur, élevant sa voix sonore chaque fois que, dans ses paroles, revenait le mot narod (nation). C’était comme si un avertissement bienveillant et solennel eût été donné a l’autocrate. Le chemin d’une large politique nationale lui était montré. Et les acclamations qui le saluèrent lorsqu’il traversa la salle des séances éclairèrent ses yeux, détendirent son visage, où apparut même, après une si longue contrainte, un sourire timide. Instans décisifs, d’où aurait pu dater une phase nouvelle de l’histoire de la Russie. Comment les impressions de cette journée de réconciliation et d’entente se sont-elles effacées chez Nicolas II ? Comment d’autres sentimens, de funestes préjugés ont-ils prévalu chez lui ? C’est le triste secret d’un souverain faible, d’un autocrate soumis à toutes les influences d’un déplorable entourage…

Je ne crois pas me tromper en disant que la visite de l’Empereur à la Douma avait fait naître chez les libéraux de grandes espérances. Jamais ils ne furent aussi modérés que pendant les quelques mois qui suivirent, jamais ils ne firent preuve d’autant d’aptitudes au gouvernement. C’était à cette époque que je me trouvais en Russie. Je pus recueillir, de la bouche même des principaux chefs de partis, l’assurance qu’une entente avec la monarchie leur semblait non seulement possible, non seulement désirable, mais encore nécessaire.

« Je suis monarchiste, monarchiste de cœur et d’âme, et tous mes amis octobristes le sont, comme la Russie l’est elle-même, » me disait M. Rodzianko quelques jours après la visite de l’Empereur au palais de Tauride, visite qu’il regardait comme un succès pour ses idées et pour sa cause. Et il affirmait sa conviction que la Russie évoluerait sans secousses et par étapes vers le régime des monarchies constitutionnelles d’Occident. Il trouvait des raisons de confiance dans l’histoire de la Douma elle-même, qui, en dix ans, avait fait son éducation politique. Il la comparait à un enfant qui, après s’être tenu sur le pied gauche (la première Douma révolutionnaire) et ensuite sur le pied droit (la troisième Douma conservatrice), marchait