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par Mahomet II (1389 à 1453). Nous savons seulement que la tsarine Militza dut livrer sa fille en mariage au sultan Bayésid. Un accord fut conclu entre les Knèzes de Serbie et le Commandeur des Croyans. Ils conservèrent leurs pouvoirs locaux à la condition de payer le tribut au Kalife. Le fils de Lazare, Ourosch, étant mineur, fut placé sous la tutelle des Knèzes, qui, loin de le protéger, se disputèrent entre eux la couronne de kral et le titre de tsar. L’anarchie féodale, qui devait être le grand mal de la Serbie jusque dans les temps modernes, régnait en plein à cette époque. Le patriotisme n’existait guère chez ces roitelets dominés par l’ambition personnelle. Les uns, parqués dans leurs montagnes, réussirent à s’affranchir des Osmanlis. Les autres, exposés à leurs invasions dans les larges vallées et les plaines fertiles, s’engagèrent à servir le Sultan avec leurs troupes, dans ses guerres contre la Hongrie et les peuples asiatiques, pour rester maîtres chez eux. Le plus célèbre d’entre eux fut Marko, caractère énigmatique et douteux, dont les gouzlars et le peuple des temps postérieurs firent leur héros préféré parce que, tout en servant le Turc, il sut le maintenir à distance et défendre l’indépendance nationale. Transformé, amplifié et pour ainsi dire retourné de l’envers à l’endroit par la tradition orale et les chants populaires, Marko est devenu ainsi le Cid de la Serbie.

Personnage purement légendaire, Marko représente donc l’héroïsme indomptable de la Serbie qui se continue sous le joug ottoman, mais en même temps sa conscience troublée par sa vassalité et comme bourrelée par un remords secret. Il y a de la mélancolie sous ses gaillardises, et ses fureurs jaillissent parfois d’indéracinables regrets. Les excès de sa force physique semblent le contre-coup d’un désir refoulé. Non seulement il secoue sa chaîne, il la brise à chaque instant, pour la reprendre ensuite sous le coup de la nécessité. C’est un condottiere fidèle à sa parole, mais qui ne cesse pas de faire peur au Sultan et ne se gêne pas pour le brusquer. Il est grand batailleur, grand buveur et gai compagnon, avec des bouffées de générosité chevaleresque. Ses traits dominans sont l’intrépidité, la fierté et le besoin souverain d’indépendance. Par-là, il devint l’idéal de son peuple. Dans le dessin heurté de cette figure, les gouzlars laissent percer un fond de tristesse et d’amertume. Ils ont personnifié en lui les sentimens mélangés de la nation pendant