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mois de l’année, il a été reçu trois millions de tonnes de houille. On peut donc prévoir que le chiffre de tonnes déclarées en 1915 sera fortement dépassé en 1916, à moins que la difficulté de se procurer des navires, par suite notamment de la taxation des frets, n’entrave les expéditions d’Angleterre. » Eh bien ! malgré ces entraves, à la fin de 1916, la statistique enregistrait 6 118 900 tonnes de houille. Quel chiffre aurait été atteint sans la taxe !

L’impression est assez singulière, alors que la disette de charbon règne partout, qu’elle est à Paris le souci poignant de tous, que le charbon, dont chacun manque, apparaît aux imaginations comme un produit-fantôme dont il n’est plus permis de jouir, de voir ce même charbon emplir les cales de plus de cent vaisseaux qui se renouvellent sans cesse, inonder le port de Rouen, s’amonceler sur les quais, s’entasser nuit et jour dans les wagons et les péniches, enfin abonder.

Pour se convaincre que le charbon abonde à Rouen, il suffit de comparer ce chiffre de 6 118 900 tonnes que je citais plus haut et qui sera dépassé en 1917, avec le chiffre de 2 880 960 tonnes enregistré en 1913. Mais il faut avant tout se rendre compte des difficultés de la main-d’œuvre. Voilà le premier facteur de l’embouteillage du port. La mobilisation a enlevé aux entrepreneurs tous leurs ouvriers. On les a remplacés, il est vrai, par des prisonniers allemands, qui sont environ au nombre de 10 000 dans les camps de Rouen. Mais ce sont des hommes inexpérimentés et doués de peu d’ardeur au travail. Les chefs d’équipe accordent une grande préférence aux prisonniers autrichiens que leur bonnet verdâtre et pointu signale dans quelques chantiers et qui se montrent, dit-on, extrêmement laborieux. Malheureusement, ils sont en petit nombre. Tel navire contenant 3 500 tonnes de charbon qu’on déchargeait avant la guerre en une journée, en demande au moins trois aujourd’hui, ce qui explique pourquoi tant de bateaux sont forcés d’attendre leur tour, malgré un excellent outillage. Depuis dix-huit mois, il a été mis en service de nombreux engins à vapeur ou électriques, plus une vingtaine de grues nouvelles sur pontons, munies des bennes automatiques dont je parlais tout à l’heure. La Compagnie des chemins de fer de l’État, concessionnaire d’une section des quais, y a établi une série de grues à vapeur