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point laisser sortir de l’île la dépouille mortelle du général Buonaparte ; mais refusera-t-on son cadavre à sa mère ? Ce droit qu’on reconnaît aux mères des suppliciés de réclamer le corps de leur enfant, le déniera-t-on à la mère de Napoléon ?

Elle s’adresse d’abord au comte Bertrand : si l’Empereur a exprimé la volonté positive d’être inhumé à Sainte-Hélène, elle ne présentera point sa requête au gouvernement britannique. Dans le cas, au contraire, où l’Empereur n’aurait pas exprimé la volonté absolue d’être inhumé à Sainte-Hélène, ou bien dans le cas où il n’aurait exprimé cette volonté que pour empêcher ses restes d’être profanés à Westminster, « mon désir, écrit-elle, est que vous ne perdiez pas un moment pour présenter ma requête à lord Castlereagh. » Aussitôt elle expédiera à Londres quelqu’un de sûr, chargé de sa procuration, pour recevoir et lui amener ces restes précieux, objet de son éternelle douleur.

Il est fâcheux que Madame n’ait point rédigé elle-même sa demande au gouvernement anglais. Elle tenait toute dans la première phrase : « La mère de l’empereur Napoléon vient réclamer de ses ennemis les cendres de son fils. » Les déclamations qui suivent n’y ajoutent rien ; seulement cette phrase : « Mon fils n’a plus besoin d’honneurs, son nom suffit à sa gloire ; mais j’ai besoin d’embrasser ses restes inanimés. C’est loin des clameurs et du bruit que mes mains lui ont préparé dans une humble chapelle une tombe. Au nom de la justice et de l’humanité, je vous conjure de ne pas refuser ma prière. Pour obtenir les restes de mon fils, je puis supplier tout le ministère ; je puis supplier Sa Majesté Britannique ; j’ai donné Napoléon à la France et au monde. Au nom de Dieu, au nom de toutes les mères, je viens vous supplier, Milord, qu’on ne me refuse pas les restes de mon fils. »

On ne lui répondit pas.


Frédéric Masson