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mon frère Louis, mais, voyant que nous cherchions tous deux des moyens de les tirer de leur aveuglement et que nous finissions par nous moquer de leur crédulité, je dois taire les scènes, les querelles et le refroidissement que leur conduite a naturellement amenés entre nous. »

Le drame n’est pas encore à son acte le plus mouvementé et le plus émouvant. Il y a parfois des intermèdes : Madame ne se retient point vis-à-vis de Joseph de plaindre son bel argent, lorsque, ayant épuisé tous les prétextes, Fesch doit à la fin laisser partir ceux qu’il a désignés. On soumet à un conseil de quatre professeurs, présidés par le propre médecin de Son Altesse Eminentissime, un rapport d’O’Meara sur la santé de l’Empereur. Les cinq augures disputent des méthodes qu’O’Meara a adoptées et formulent des prescriptions qu’Antommarchi, au moins le prétend-il, reçoit ordre de suivre mot à mot sous les peines les plus graves. Après un diner que donne Fesch, la caravane se met en route, sans même qu’on l’ait munie d’un mot de Madame ou du cardinal pour servir d’introduction près de l’Empereur ; elle emporte, écrit Madame, « des vins, du café, des vêtemens, des livres, une pharmacie volante, les ornemens d’une chapelle. » Marchand, quand on déballa les deux malles, l’une contenant des livres et des journaux, l’autre des habits sacerdotaux et des ornemens d’église d’une très grande beauté, crut que ceux-ci étaient un présent de Mgr le cardinal Fesch : Madame pourtant assure qu’elle les paya, ainsi que tout le reste.

De Rome à Londres, le voyage prit deux mois, du 25 février au 19 avril. On traversa l’Italie, la Suisse, une partie de l’Allemagne. A Francfort, Antommarchi se précipita chez la reine Julie et lui exhiba les planches du grand ouvrage de Mascagni, qu’il portait avec lui. Il assure qu’elle l’admira fort, mais elle ne souscrivit point. De Francfort, Buonavita, qu’Antommarchi accompagnait, se rendit à Offenbach pour voir Las Cases, qui s’y était retiré. Las Cases leur remit « pour Longwood, deux charmans portraits, l’un du jeune Napoléon peint d’après lui dans l’année même et envoyé par le roi Jérôme ; l’autre celui de l’impératrice Joséphine par Saint, dont la reine Hortense faisait le sacrifice. Il était monté sur une magnifique boîte à thé en cristal. » Ce choix du cristal était une précaution délicate de la Reine, qui avait fait aussi exécuter la monture de manière