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II

Durant que les fidèles de l’Empereur, selon leur tempérament, se désespéraient ou s’indignaient, qu’ils représentaient à Fesch « quelles funestes conséquences aurait un mauvais choix ; » qu’ils réalisaient les reproches que Madame et surtout le cardinal encourraient pour avoir empêché Foureau de se rendre à Sainte-Hélène, le cardinal, inébranlable dans son entêtement, minutait l’espèce de décret par lequel il assurait le triomphe de son avarice, de son exclusivisme corse et de son ignorance.

Faut-il penser que de sa part, il y eût pis ? Comme Madame participe à tout, on ne peut le croire et il faut écarter un soupçon dont on a peine à se défendre. Madame et Fesch, après avoir sincèrement souhaité d’adoucir les peines de l’Empereur en lui envoyant un prêtre catholique romain, ont brusquement changé d’opinion sur l’utilité d’une telle mission. C’est que tous deux, — avec Colonna en tiers, ce qui explique Antommarchi, — obéissent à des inspirations dont ils laissent entendre qu’elles sont divines. Ils sont certains que Napoléon n’est plus à Sainte-Hélène et que « la petite caravane » qu’ils y envoient ne l’y trouvera plus. Voilà pourquoi ils suppriment le plus possible des frais, pourquoi, au lieu du médecin à 15 000, ils prennent le médecin à 9 000 ; pourquoi ils traitent tous ces choix avec cette extraordinaire légèreté, cette prodigieuse nonchalance ; pourquoi, ayant reçu, au plus tard en septembre 1818, l’autorisation en date du 10 août dont il n’eût tenu qu’à eux de hâter l’expédition, ils perdent trois mois au moins dans une inaction volontaire ; pourquoi, enfin, ils vont recommandera leurs émissaires la marche par terre la plus lente, de longues stations, toutes les façons de gagner du temps, au lieu de les embarquer directement pour Londres à Civita-Vecchia, à Livourne ou à Gênes.

Dès le mois d’octobre 1818, Madame écrivant à sa belle-fille la reine Catherine lui annonce que Napoléon est en route : « Nous n’avons pas entendu parler, répond celle-ci, de la nouvelle que vous donnez de la translation de l’Empereur à Malte. » Cette nouvelle que Madame a répandue jusqu’aux États-Unis ne s’est point vérifiée, mais Fesch n’est pas démonté par là. « Je ne sais pas, écrit-il à Las Cases le 5 décembre,